Thierry Zaboitzeff 50 ans de musique (s)

50 ans de musique (s)

Coffret rétrospective de 3 CD
Artiste : Thierry Zaboitzeff
Label : Monstre Sonore
Date de sortie digitale : 23/09/2022
Date de sortie physique : 23/09/2022
Distribution digitale : Toutes plateformes de streaming et téléchargement
Genre: symphonic electro rock - ambient - contemporary classical - alternative - post rock - music for image.
Nombre de pistes : 43 | Durée : 218 '
Musiciens : Divers selon les périodes
Composition : Thierry Zaboitzeff
Artwork : Thierry Moreau
Liner notes : Denis Desassis

La Voix du Nord (F)




LA VOIX DU NORD DIMANCHE 27 AOÛT 2023

Pour Zaboitzeff, 50 ans de musique,
et toute une vie après Art Zoyd


En 2017, coup de cymbale. Le New York Times avait classé « 44 et demi », du groupe nordiste Art Zoyd, parmi les coffrets du
siècle entre Bowie et Zappa. Six ans après, le Sambrien Thierry Zaboitzeff, l’autre compositeur d’Art Zoyd avec Gérard
Hourbette, a sorti son propre coffret, sur un demi-siècle de création. On attend la critique new-yorkaise.

PAR THÉO TERSCHLUSEN
tterschlusen@lavoixdunord.fr

LE CITOYEN DE SALZBOURG

Là, Thierry Zaboitzeff souffle un peu. 70 printemps, pas de tournée prévue, devant lui une page blanche, dans son studio. Quel son ça fait, si sur sa contrebasse
l'archet glisse sur un linge mouillé ? Il vit maintenant en Autriche, à Salzbourg. La ville de Mozart. Pas le moindre soupçon, chez lui, de rivalité avec le divin Amadeus. Mais la certitude d'avoir bien fait de s'accrocher à sa guitare. Privilège rare, Zaboitzeff a publié fin 2022 un joli coffret de trois disques sur ses 50ans de musique (lire ci-
contre). Collector. Le morceau le plus vieux remonte à la préhistoire: 1971. Sangria est comme
son nom l'indique une élucubration rock et déjantée. C'est aussi la première étincelle de la fusée Art Zoyd, groupe nordiste jamais entré au Top 50 mais autour duquel des chapelles de fans brûlent des bougies jusqu'au sein de la faculté de musicologie de Tokyo.

L'ENFANT DE SOUS-LE-BOIS
Mythique : le groupe, créé par un Valenciennois, Rocco Fernandez (en 1969, année exotique), a pris son envol, vraiment, à Maubeuge. Thierry Zaboitzeff est né à
Sous-le-Bois, cœur ouvrier de cette Sambre où les cours d'usine, dans les années 1950, occupent toute la vallée. Il s'en souvient : « Gamin, tout le monde autour de moi avait quelqu'un qui travaillait à l'usine. »
Pas lui, qui gratte sa guitare et écoute de la pop rock. En s'y sentant déjà à l'étroit. Il lorgne sur Franck Zappa, guitariste alchimiste, et Magma, les Français
précurseurs du rock progressif. La suite fait penser à la rencontre de Lennon et Mac Cartney, sur les docks de Liverpool. Au tournant des années 1970, le directeur du
foyer des jeunes travailleurs Sangha met «Zab» en cheville avec un autre gamin : Gérard Hourbette. Thierry est autodidacte, Gérard a fait le conservatoire et préfère le violon

Thierry Zaboïtzeff a une philosophie : inventer, ne jamais s'ennuyer, ne jamais se retourner. Ce qui ne l'empêche pas d'offrir à ses fans ce coffret qui recèle une cinquantaine de pièces, cailloux blancs amassés le long d'une carrière. Le plus vieux date de. 1971, alors que le rock progressif allait prendre son envol.

LA MÈCHE ET LA COMÈTE
Qui a allumé la mèche ? Les deux, mon général. Ils ont le même appétit pour les sons nouveaux. Ils décident d'abord de ce dont ils ne veulent à aucun prix. En gros, le
show-biz: «Nous étions orgueilleux et inconscients. » Ils rejoignent Art Zoyd et embarquent pour la première partie de la tournée de Magma (tiens..).

La suite sera du même tonneau : inventer, ne jamais tomber tout cuit dans un bac de disquaire dûment étiqueté. Inclassables, cela leur réussit pas mal.

Art Zoyd, dans les années 1980, déboule à la télé chez Drucker un dimanche, avec le corps de ballet de Roland Petit. Remplit le stade de Barcelone pour les JO de 1992
avec les artificiers du groupe F. Tournera jusqu'en Australie en passant par le Royal Albert Hall de Londres avec ses cinés-concerts dédiés au cinéma muet,
dont le très fameux Nosferatu de Murnau.

UN PREMIER COFFRET MYTHIQUE
Gérard Hourbette est mort en 2018. Fin 2017, un supplément de Noël du New York Times a classé l'anthologie 44 et demi d'Art Zoyd comme l'un des coffrets du siècle, entre Bowie, Zappa (retiens) et Thelonious Monk.
Hourbette et Zaboitzeff se sont séparés au tournant du siècle : plus la même vision musicale.
Hourbette a gardé la maison, et les studios liés, à Valenciennes. «Zab » a poursuivi son chemin à lui. Sur les quelque 50 pièces de
son coffret, seuls sept sont estampillés Art Zoyd. « Je ne me suis jamais retourné. » 

QUELQUE 50 PIÈCES, AUTANT DE CLIMATS
Expérimentale, cette musique ? Ce serait déjà l'emprisonner. Nombreuses sont les pièces du coffret, rangées de façon aléatoire, qui ont l'écriture classique, voire la
légèreté du jazz, façon Avishaï Cohen, le contrebassiste israélien. Ainsi Domagali, écrite en 2017, bande-son pour un doc belge sur les femmes toubous du désert.
Plus tourné vers la mélodie qu'Hourbette, Zaboitzeff ? « Nous étions surtout parfaitement complémentaires. » Dans l'invention aussi, la volonté de changer de style
et d'instrumentation. Violoncelle électrique, claviers, sax tenor, voix, dont la sienne propre, qu'il a trouvée dans l'ultra-grave.. « J'essaie de nouveaux climats, en
fait je n'aime pas m'ennuyer. » Épreuves d'acier, écrit dans les années 1990, tend certes vers le rock industriel, lui qui a été écrit pour illustrer musicalement une
expo de photos sur une forge lorraine. Mais dans son coffret, Zaboitzeff a aussi glissé plusieurs pièces écrites
pour la chorégraphe Edita Braun, qui ont la fluidité qui sied au ballet. Collaboration fructueuse : l'Autrichienne est devenue l'épouse du musicien il y a deux ans.

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Chromatique.net (F)




Thierry Zaboïtzeff - 50 ans de musique(s)
Tags: electro, jazz, Rock in Opposition, rock progressif


Sorti le: 23/09/2022
Chronique par Jean-Philippe Haas
Label: WTPL Music
Site: https://thierryzaboitzeff.bandcamp.com/

Il ne fallait pas moins de trois CD remplis à ras bord pour se faire une idée du travail réalisé par Thierry Zaboïtzeff en un demi-siècle d’aventures musicales ; tout d’abord avec Art Zoyd (dont il fut le codirecteur avec Gérard Hourbette, décédé en 2018) puis dans d’autres formations, et surtout en solo, brassant de multiples genres comme le rock progressif, le jazz, le RIO, la musique électronique, répétitive, dans des domaines aussi variés que le théâtre, la danse, le ciné-concert… pour ne citer que quelques-unes des nombreuses facettes du compositeur multi-instrumentiste.

50 ans de musique(s) n’est pas une simple compilation : de nombreux titres ont été dépoussiérés, réenregistrés (comme ces versions récentes de « Konzobélé » et « Mariée à la nuit », figurant d’abord sur le diptyque Marathonnerre d’Art Zoyd), d’autres sont issus de performances live (par exemple « Unsex Me Here » ou « Baboon’s Blood », originellement sur Berlin, d’Art Zoyd également). Largement instrumentale, la musique de Zaboïtzeff, hormis les cordes (basse, guitare, violoncelle) et le piano, comprend tout un attirail électronique (sampleur, synthétiseur, boîte à rythmes). Elle ne néglige pas pour autant l’apport de la voix : chant torturé sur cet extrait de The Cabinet of Dr. Caligari, vocalises sur « Dr Zab am Wolfgang See » tiré de Sixteenth, langage inventé magma-esque sur « Deil zom an de lay » ou « Sangria » (ce dernier en en hommage au fondateur d’Art Zoyd, Rocco Fernandez), chant lyrique (« Requiem », « Libera me »)…

Cette volonté de sortir des cadres sans perdre l’auditeur au passage aboutit à un art souvent exigeant mais accessible, barré sans être abscons, où des paysages sonores aux climats changeants (comme le récent « Pagan Dances » ou l’impressionnant « Aria Primitiva », tiré de l’album du même nom) côtoient des pièces plus courtes créées autour d’éléments mélodiques simples (« Domagali », « Planet LUVOS act 8 », « Derevo », « Phantasiespiel »…). Les atmosphères induites sont souvent étranges, voire sombres (en particulier sur les compositions de la période Art Zoyd), l’électronique et les boucles viennent appuyer des propriétés hypnotiques (« Confusion », « Luvos vol.2 Epilogue », « Die Maschine »), parfois à la limite de la techno (« Introitus »).

Bien que certaines d’entre elles aient été développées dans un cadre multimédia (en particulier pour accompagner les spectacles de danse d’Editta Braun), les compositions sélectionnées ici se suffisent à elles-mêmes, sans qu’il soit besoin de connaître les tenants et les aboutissants de l’œuvre à laquelle elles sont destinées. Elles happent facilement la curiosité d’un esprit ouvert et fascinent par les ambiances qu’elles créent.

Ceux qui suivent Thierry Zaboïzeff depuis longtemps ne seront peut-être pas les premiers concernés par cette rétrospective. En revanche, celui qui a lâché l’affaire un peu trop tôt, l’amateur de musiques qui évoluent hors des sentiers battus ou simplement le mélomane curieux trouveront largement de quoi satisfaire leur appétit non conventionnel et pourront par la même occasion ajouter un nom à leur liste d’artistes incontournables.

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Highlands Magazine (F)


THIERRY ZABOITZEFF 50 ANS DE MUSIQUE(S)
(Monstre sonore 3 CD, 2022)

Chronique de Didier Gonzalez - Mai 2023

ART ZOYD se forme en 1969 par le guitariste Rocco FERNANDEZ. À la suite de la défection de son fondateur, le groupe est rejoint en 1971 par Thierry ZABOITZEFF intégrant le groupe ART ZOYD qu’il refondera en compagnie de Gérard HOURBETTE à partir de 1975. S’en suivent de nombreuses tournées à travers le monde autour de projets musicaux et scéniques ambitieux. Le guitariste Rocco FERNANDEZ sera remplacé par Alain ECKERT sur le premier album SYMPHONIE POUR LE JOUR OU BRULERONT LES CITES en 1976. Fresque en trois parties inspirée par l'environnement de l’époque.
En 1979, ART ZOYD publie MUSIQUE POUR L’ODYSSEE.
En 1980, l'album GENERATION SANS FUTUR reprend les mêmes thèmes avec les mêmes musiciens.
Cette année-là, une nouvelle version de Symphonie Pour Le Jour Où Brûleront Les Cités voit le jour, précédant le double album PHASE IV en 1982, puis LES ESPACES INQUIETS en 1983.
En 1985 paraît LE MARIAGE DU CIEL ET DE L’ENFER, musique de ballet de Roland Petit puis en 1987, l’album BERLIN.

En 1997, Thierry ZABOITZEFF se sépare d’ART ZOYD et monte son propre studio. À ce moment, vont se succéder de multiples projets sous son nom ou en association à des metteurs en scènes et chorégraphes. Entre 2006 et 2022, créations de nombreuses musiques originales en studio ou en live dans des domaines aussi divers que le théâtre (Die Orestie, Prometheus), la danse Coppercity, Paradies et bien d'autres pour Editta Braun Company ; le cinéma, Wind Of Sand, Women Of Rock de Nathalie Borgers ; des concerts en solo, Cross The Bridge ; des ciné-concert, Le Cabinet du Dr. Caligari lors de l’International Caligari Festival de Berlin. Des spectacles événementiels, Feuerwelt eine Sciencefiction Linzer Klangwolke e, 2011, la formation d'un nouveau groupe en 2017 ARIA PRIMITIVA.

La rétrospective concoctée par Thierry ZABOITZEFF célébrant 50 ans de musique ne respecte aucun ordre chronologique, mélangeant formations et époques. La
musique dissonante de Thierry ZABOITZEFF nous saisit à bras le corps pour nous faire entrer – de gré ou de force – dans un autre univers où l’ambition musicale et un haut degré d’exigence cohabitent. Trouvant ses références dans les musiques nouvelles, la musique contemporaine, le zeulh, Thierry ZABOITZEFF replonge à l’occasion dans le monde stellaire de Ceremonies Part I-II-III extrait de Les Espaces Inquiets, cet album d’ART ZOYD de 1982 qui demeure 40 ans après sa création d’une fulgurante modernité. L’orgue flamboyant, aux couleurs emersonienes en ouverture, chavire, rejoint par des cuivres dissonants, grinçants, menaçants. Les guitares électro acoustiques dessinent des séquences d’accompagnement fulgurantes, associées aux cuivres bourdonnants. La section rythmique assure un rythme impair improbable, nous sommes au cœur de l’aventure musicale. Un solo de guitare aux sonorités de braises, dissonant à souhait vient s’immiscer, avant le retour de l’orgue accompagné d’arpèges de piano. La basse profonde emporte, associée à la trompette aux accents fatalistes et grinçants. Une intensité folle règne sur cette musique. Le morceau Pagan Dances (14’49) enregistré en 2021, disponible au format digital séparément est une grande aventure solo de musique contemporaine, sur lequel Thierry ZABOITZEFF joue de tous les instruments, basse, violoncelle électrique, claviers, samplers, programming. Toujours un très haut d’exigence dans la créativité, très novateur, à l’exécution parfaite.
Le mélange des instruments et leur mixage est parfaitement agencé et durant un quart d’heure nous sommes happés, emportés à travers l’espace.

Promethean Waves (6’35), remonte le temps, en 1984, Thierry ZABOITZEFF jouant du violoncelle, basse, percussion, claviers. La musique, toujours saisissante ne relache jamais sa créativité, partant dans d’improbables directions, dotée de chœurs discrets mais lui assurant une indéniable profondeur.

Epreuves d’Acier – Fragments d’Une Forge (9’36), un enregistrement de 1995 réunit Thierry ZABOITZEFF, Gérard HOURBETTE, Patricia DALLIO avec la participation de Daniel DENIS, percussion. L’aventure musicale est présente dès la saisissante introduction marquée par les effets rythmiques spéciaux, le piano percussif, les cuivres stridents. Alternance de temps faibles, méditatifs, spatiaux et de fulgurances, de jaillissements. Rien n’est prévisible. On passe du cinématique à la musique concrète, jusqu’à ce que l’image concrète de la forge apparaisse devant nos yeux.

Confusion (4’44) est une pièce jaillissante, tourbillonnante à la rythmique électronique imprévisible, où les claviers plongent dans un espace glacial. Pas vraiment de mélodie, mais des climats, des ambiances et du rythme. Entre RIO et contemporain, l’album gagne au fil des écoutes. Crash (Live Version) 2’56, saisit avec son rythme bondissant, son violoncelle aux accents syncopés et son lyrisme. Nous sommes emportés comme dans un labyrinthe dans des sonorités sinueuses, vrombissantes, parfois grinçantes au niveau du violoncelle de Thierry ZABOITZEFF. Etourdissante performance live mais trop courte.

Dans le Cd2 figure Mariée à la Nuit composé en 1984 et adapté pour ART ZOYD en 1990, avant d’être réorchestré pour guitares électriques et basse pour le projet Overdrive, jamais sorti. Une pièce inédite d’une grande qualité et profondeur avec toute la grandeur dramatique de cette musique.

Rage And Domination enregistré et remastérisé en 1998 présente un aspect saccadé, épileptique au niveau rythmique de la musique de Thierry ZABOITZEFF qui joue du violoncelle, de la guitare et manie les samplers avec dextérité ainsi que les rythmiques programmées.

Unsex Me Here extrait de l’album BERLIN d’ART ZOYD de 1987 est présenté dans une version live, où le violoncelle aux traits saccadés se marie avec des claviers sinueux aux sonorités fascinantes.

Dans le Cd3, sur le morceau Aria Primitiva (13’48), le mystère plane à travers les claviers et samplers de Cecile THEVENOT, la basse électrique et le violoncelle de Thierry ZABOITZEFF, les ondes Martenot de Nadia RATSIMANDRESY. L’aspect percussif du piano apparait particulièrement saisissant. Une pièce angoissante.

Children’s Corner (5’23), est une superbe pièce menée par un clavier percutant, auréolé d’une partie de saxophone labyrinthique d’André MERGENTHALER. Extrait du Cd DR ZAB AND HIS ROBOTIC STRINGS ORCHESTRA de 1995.

N’hésitez pas à faire le voyage, d’autant que vous trouverez le triple Cd à 33€ port compris sur le site de l’artiste.

https://www.zaboitzeff.org/

(****½)

Didier GONZALEZ

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Koid9 (F)




2023 N° 122
CHRONIQUES
Thierry Zaboitzeff
50 ans de musique (s)
(Monstre Sonore - WTPL Music / dist. PIAS)

par Renaud Oualid

Compositeur et multi-instrumentiste, l'une des têtes du groupe Art Zoyd de 1971 à 1997, Thierry Zaboitzeff écrit aujourd'hui pour la danse, le théâtre, des évènements multimédia, le film ainsi que pour ses propres projets et performances. L'an dernier, Thierry a fêté, ici et ailleurs, sur les réseaux sociaux, ses cinquante années de musique... Photos, vidéos, textes, anecdotes, historique... Un album rétrospective logiquement titré 50 ans de musique(s) et retraçant les meilleurs moments de sa carrière est sorti en septembre dernier ; cela ne signifie pas qu'il compte s'arrêter là, mais un demi siècle, ça se fête, non ?
 
Magnifiquement présenté dans un digipack dépliant 8 volets (à l'artwork signé Thierry Moreau), assorti d'un livret présentant chaque titre (note de pochettes de Denis Desassis), les 3 CDs de cette rétrospective (qui refusent le tracklisting chronologique pour des raisons de fluidité) sont tout bonnement indispensables à qui s'intéresse à la riche carrière de ce fabuleux musicien (de près de 70 ans), dont nous vous avons parlé à plusieurs reprises.
 
Avec 43 titres (certains morceaux ont été remasterisés, d'autres ont été modifiés et ré-enregistrés), pour une durée maousse de 218 mn (soit près de 3h30), les genres embrassés par l'artiste éclectique sont nombreux, citons notamment pour mémoire l'électro rock symphonique, l'ambient, le classique contemporain, l'alternatif, le chant liturgique, le post rock ou encore la musique de film/théâtre/ballet, les musiques nouvelles, évidemment le rock in opposition... et même le progressif ! (liste non exhaustive tant le musicien a diversifié ses musiques).
 
Les trois disques (pleins comme un œuf, plus de 70mn chacun) sont constitués de morceaux de sa longue carrière, la plupart étant issus de la presque vingtaine d'albums qu'il a sorti après 1997, avec également des versions live qui ne sont disponibles nulle part ailleurs, mais aussi des morceaux de ses deux albums solo sortis alors qu'il était encore membre d'Art Zoyd, plusieurs morceaux classiques de ce groupe, une poignée de morceaux de Zaboitzeff & Crew, quelques superbes titres d'Aria Primitiva (dont je vous ai déjà dit le plus grand bien dans ces pages), et même la version personnelle de l'artiste du premier single d'Art Zoyd de 1971 "Sangria”, en hommage au fondateur du groupe, Rocco Fernandez.
 
Un fabuleux voyage que vous ne regretterez pas de faire avec l'artiste et les très nombreux et différents musiciens avec qui il a collaboré depuis ces 50 ans ! Joyeux anniversaire TZ !
 
https://thierryzaboitzeff.bandcamp.com

Renaud Oualid


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Revue & Corrigée (F)


2023 N° 135
CHRONIQUES
FOCUS ZABOITZEFF

Par Pierre Durr - mars 2023




Compositeur, violoncelliste (il use en particulier d'un modèle insensible aux aléas climatiques, le Silent Cello de Yamaha customisé, muni de pédales d'effets), bassiste, vocaliste, claviériste... Cela fait plus de 50 ans que Thierry Zaboitzeff, natif de Maubeuge mais résident depuis plus de 20 ans en Autriche, dans le Land de Salzbourg, s'attelle à une esthétique sonore particulière, identifiable quoique d'inspirations diverses.
Le coffret de trois CD, 50 Ans de Musique(s), édité à la fin de l'année dernière, est une manière, pour Thierry Zaboitzeff, de revenir sur sa carrière. Sans chercher à être chronologique, les trois CD alternent des extraits de ses activités avec Art Zoyd, de celles qu'il a réalisées sous son seul nom ou plus récemment avec Aria Primitiva, et il na pas hésité à y inclure des versions alternatives, quelques enregistrements plus rares, voire inédits.

Sa carrière a débuté au sein d'un groupe intitulé Rêve1 (déjà en compagnie de Gérard Hourbette), qui pratiquait
« une musique presque totalement improvisée, chaotique à souhait, planante, sur les traces d'un Amon Düül ou des premiers Gong » (1.). Il rejoint ensuite, en 1971, Art Zoyd 3, alors le groupe de Rocco Fernandez. Un enregistrement réalisé au Golf Drouot témoigne de cette période, que Zaboitzeff inclut dans son itinéraire en proposant sa reprise du premier 45 tours de la formation de Rocco Fernandez, paru en 1971, Sangria (3), reprise enregistrée en 2022. Suivront 25 années, jusqu'en 1997, au cours desquelles il fut l'un des deux principaux compositeurs, avec Gérard Hourbette, du groupe devenu Art Zoyd. Tranche de vie documentée dans le présent coffret par des extraits des albums Les Espaces inquiets, Phase IV, Berlin, Marathonnerre remasterisés, voire ré-enregistrés (« Baboon's Blood »). Quoique repris dans une production à son nom (Sixteenth), on peut y ajouter « Mariée à la nuit », proposé précédemment par Art Zoyd pour un album collectif, avec J.A. Deane et J. Greinke.

À partir de 1997, il se consacrera davantage à ses propres productions, quoiqu'il ait déjà fait paraître des enregistrements sous son seul nom dès 1984 (Prométhée) puis en 1992 (Dr Zab & His Robotic Strings Orchestra).
« J'ai pris la décision de quitter Art Zoyd parce que nous avions réalisé depuis 1989 trois projets de ciné-concert (Nosferatu, Faust, Häxan,), et que je souhaitais abandonner cette façon de produire notre musique. Gérard voulait continuer, et aussi s'impliquer dans une certaine musique contemporaine, ce qui ne collait pas avec ma sensibilité et mes intentions artistiques du moment. » (1)

Sur ses enregistrements post-Art Zoyd, il officie souvent seul à tous les instruments, à l'exception de Miniaturen (Zoydian Suite in 5 Movements) en 2000, enregistré avec un équipage (crew) formé d'un clarinettiste, d'un batteur et d'une chanteuse, de Dr Zab. Vol. 2 - The Fantômatick Band (un orchestre d'une vingtaine de musiciens), et de Voyage au centre de la Terre avec des chanteuses. Mais en général, il se contente d'un apport d'invités sur l'un ou l'autre titre : André Mergenthaler au saxophone sur « Childrens Corner » (Dr Zab H His Robotic Strings Orchestra, 1992), ou les bassistes Erik Baron et Alain Guyon et cinq guitaristes dans « Mariée à la Nuit » (Sixteenth, 2013). En septembre 2015, il participe néanmoins au concert anniversaire des 44 /z ans dArt Zoyd, donné dans le cadre du festival Rock in Opposition de Carmaux (4.).

Le coffret 50 Ans de Musique(s) inclut bien sûr de nombreux extraits de ses créations personnelles (une bonne quinzaine), sans oublier la courte période d'Aria Primitiva dont il va être question. Cerises sur le gâteau, quelques inédits, ou titres édités confidentiellement, tels « Epreuves d'acier — fragments d'une forge » (réalisé avec le line-up d'Art Zoyd à I'époque, en 1995), et « LoSt ». Ce dernier titre est d'ailleurs en quelque sorte emblématique, puisque réalisé pour la compagnie de la chorégraphe Editta Braun, une grande partie des enregistrements de Thierry Zaboitzeff y trouvent leur fondement (Heartbeat {Concerto For Dance dr Music Op.1), India, Miniaturen (Zoydian Suite in 3 Movements), Nebensonnen (Works for pianos, strings and soft electro- nics), Planet LUVOS, Professional étranger). Sans oublier les créations qui n'ont pas fait l'objet d'enregistrements disponibles : parmi d'autres, Eurydike, composé en 2004 pour la Junge Philharmonie Salzburg, Oxalis de 2005, ou Schluss mit Kunst de 2011.

« Je travaille avec Editta Braun depuis 1997. Nous avons commencé un projet live commun, Heartbeat, qui o été porté au théâtre, dans lequel la danse et la musique étaient fusionnées. Depuis, nous avons collaboré sans cesse et avons fini par nous marier en 2020, c'est dire si notre relation artistique et humaine est profonde. Pour chaque projet de sa compagnie de danse, Editta me de- mande de travailler sur un matériau sonore et conceptuel différent, quelque chose que j’aime faire et expérimenter. Par exemple, pour son projet India, j'ai travaillé sur les sons et les ambiances qu'elle m'a rapportés de son voyage en Inde, après les premières séances de travail in situ. Elle m'avait donné quelques éléments de composition dramatique, j'ai donc incorporé une sensation nostalgique et techno ou fur et à mesure que les scènes se déroulaient. Idem pour le projet Nebensonnen : tout devait être écrit autour du piano. Pour Miniaturen, la musique devait être jouée en direct avec un groupe Art Zoyd-esque : Zaboitzeff & Crew. Pour le projet Luvos, la musique devait être principalement électronique. Et ainsi de suite. . . » (5.)

« D’autres réalisations ont pour support le théâtre, comme Prométhée, Alice, ou Frôler les pylônes :
Une création au TNS de Strasbourg pour un spectacle monté à la Comédie de Caen, CDN de Normandie dirigé alors par Eric Lacascade, qui m'avait invité à participer musicalement et en live à cette folle création, repris au CDN de Caen puis dans d'autres villes de France. » (1.)

Le cinéma peut aussi être un support. En témoigne Séquences, musique d'un film documentaire réalisé par Nathalie Borgers, consacré aux femmes de la tribu saharienne Toubou, Winds of Sand, Women of Rock ou The Cabinet of Dr. Caligari, continuant d’une certaine manière le travail réalisé au sein d’Art Zoyd avec Nosferatu, Faust, Häxan sur les films muets des années 20. (6.)
Il y eut aussi en 2000 Zirkus Meer, une musique pour le spectacle de cirque de Beda Percht dans le cadre du Donau Festival de Sankt Pölten, en Autriche.


Plus curieusement, il y a un intérêt pour les musiques d'inspiration religieuse, dont rendent compte aussi bien la Missa Furiosa que Le Livre vermeil, adaptation électronique et libre de chants et danses de pèlerins qui se rendaient à la fin du Moyen-Âge au monastère de Montserat, près de Barcelone, pour y vénérer une vierge noire (projet dont ne figure cependant aucun extrait sur la compilation).
« C’est un projet de 2004 trop vite monté, il n'a été présenté qu'une seule fois sur scène. J'ai beaucoup de regrets sur Le Livre vermeil, c'est pourquoi il me tient à cœur d'en faire un album, d'après les arrangements que j'avais fait à l'époque (une sorte de médiéval-électro-mix) mais pas que : pour cet enregistrement, je ré-inviterai la chanteuse Sandrine Rohrmoser, complice de ce concert de 2004. » (1.)

Quant à la Missa Furiosa (le coffret en propose deux extraits), elle doit en partie son origine à la fascination qu'exerçait l’orgue d'église sur Zaboitzeff dans sa jeunesse, sentiment ravivé par la propension du groupe Art Zoyd à utiliser des instrumentations puissantes et solennelles basées sur des accords d'orgue.
« L’idée m'est venue de faire des essais et des erreurs avec des fragments de textes latin de rituel liturgique catholique, sans trop me soucier de leur sens profond, ni de la représentation que cela pourrait avoir. J'ai essayé différents styles de voix et le plus intéressant était le chant lyrique, qui allait devenir l'une des bases du projet. « (1.)

L’ inspiration peut parfois provenir d'autres sources. Ainsi, la prestation de Thierry Zaboitzeff & Crew à Paris, en décembre 2005, était basée sur Jules Verne et son Voyage au centre de la Terre. Et le second volet du Dr Zab, The Fantômatick Bands inclut quatre titres des Beatles, pièces qui s'inscrivaient en partie dans un spectacle, McCartney's Letter.

« A l'origine, il s'agissait d'un spectacle multimédia en plein air à l'occasion d'une présentation en 1998 de la nouvelle coccinelle de VW qui se nomme ”Beetle” dans les pays germanophones. C'était une commande qui consistait à écrire des musiques originales et des atmosphères sonores encadrées de quelques chansons des Beatles que je reprenais à ma sauce pour un spectacle incluant danse, projection et pyrotechnie. » (1.)

En 2017 se forme le trio Aria Primitiva, réunissant aux côtés de Thierry Zaboitzeff la pianiste Cécile Thévenot et l'ondiste Nadia Ratsimandresy. C’est lors de sa participation au concert de Carmaux qu'il rencontre Nadia, et lors de la reprise de ce même concert à Valenciennes qu'il fait la connaissance de Cécile, qui remplaçait alors Yukari Bertocchi-Hamada.
La formation, dès ses débuts en 2018, enregistre un EP de trois titres, Work in Progress, et fait une courte tournée passant par la France, la Belgique et I’Autriche, puis vient en 2019 un CD, Sleep no More. Cette formation fut toutefois éphémère mise en retrait en 2019, la pandémie ne favorisera pas son retour. Ces années-là, Zaboitzeff contribue pour un titre, "Rhizome », à l’album de Palo Alto consacré à Gilles Deleuze, Diference and Repetition.
« N’étant pas du tout familier de l'univers de Deleuze, ce qui m'a intéressé, c'est uniquement la proposition du groupe d'une improvisation cadrée par leur univers sonore. »(1.)

Durant la période de confinement, il ré-enregistre Nebensonnen {remake), où il joue seul de tous les instruments, alors que la version initiale de 2000 incluait, dans un titre, certains de ses anciens partenaires dArt Zoyd (Alain Eckert, Patricia Dallio, Jean-Pierre Soarez, Gilles Renard). Enfin, il travaille à ses deux dernières propositions, Professional Stranger et Pagan Dances .

« En 2022, j'ai pris la décision de lever un peu le pied et de me consacrer à mon catalogue musical, passé, present et futur. C'est une tâche énorme, et de ce fait la scène est devenue moins importante pour moi. Dans un proche avenir, il y aura l'enregistrement du Livre Vermeil, donc. Et j'ai commencé à écrire une pièce pour six violoncelles, percussion et électronique. Je vais devoir m'y consacrer corps et âme durant une longue période. » (1.)

1. Les passages en italiques sont extraits d'une interview réalisée fin janvier 2023.
2. Golf Drauot 72, Archives l Mantra 065, 1992.
3. Art Zoyd 3, Sangria/Something in Love, Opaline/Le Chant du Monde 45-1105, 1971.
4. DVD 1 du coffret dArt Zoyd 44 U : Live + Unreleased Works (Cuneiform Records, Rune 450-463, 2017) ; un extrait figure aussi sur Symphonie(s) pour le jour où brûleront les Cités (In-possible Records AZS2022, 2022).
5. Extrait d'une interview réalisée par Rodrigo Oyarce pour le compte du media espagnol en ligne ProgJazz, Lo Mejor de la Vanguardia Musical, décembre 2022 : https://www.progjazz.org/entrevista-thierry-zaboitzeff/
6. Thierry Zaboïtzeff a composé la musique d'autres documentaires sur l’Afrique réalisés par Harald Friedl (cinéaste, écrivain mais aussi musicien autrichien) : voir le CD Ranch (Extraplatte, 2008).
7. Voir TTC 127 et 130.
8. Remasterisation de la plupart de ses enregistrements et Ieur mise en disponibilité numérique, en même temps qu'un nombre important de pièces inédites telle réminiscences, mise en ligne début février : https://www.zaboitzeff.org/albums-thierry-zaboitzeff.html



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Babyblaue Seiten (D)


Année de parution : 2022
Particularités/style : Musique électronique ; Electronica moderne ; Classique moderne ; RIO / Avant ; Worldmusic / Ethno ; Zeuhl ; autre
Label : Monstre Sonore - WTPL - Music
Note moyenne : 12/15 (1 avis)

Chronique par Siggy Zielinsky 05/03/2023


En septembre 2022, le multi-instrumentiste Thierry Zaboitzeff (solo, Zaboitzeff & Crew, Aria Primitiva, Art Zoyd, Univers Zero, d-zAkord Erik Baron) a publié une compilation 3CD/téléchargement qui offre un aperçu des 50 ans de création du musicien.

On y trouve 43 compositions, soit plus de 3,5 heures de musique sur cinq décennies. Certains morceaux ont été remasterisés, d'autres ont été modifiés et réenregistrés. La musique de Zaboitzeff est connue pour être la première adresse pour les amateurs d'avant-prog, de rock in opposition, de dark avant-ambient, de prog de chambre, de musique classique moderne, de zeuhl et d'autres styles similaires.

En commençant par Art Zoyd et d'autres projets jusqu'aux travaux de commande pour le théâtre de danse et le cinéma, Zaboitzeff présente des paysages sonores entre musique de chambre et électronique, qui transmettent tour à tour une intensité considérable, ou une obscurité mystérieuse, et ressemblent parfois à des rituels inquiétants. Certains morceaux plus détendus et romantiques pourraient aussi être liés aux exigences liées aux travaux de commande.

Le musicien travaille souvent seul, parfois avec de petites formations, mais il parvient quand même à créer des arrangements orchestraux imposants dans lesquels la basse, le violoncelle, les rythmes programmés, la voix, les samples et les claviers jouent un rôle décisif.

Parmi les exceptions à cet égard, on trouve notamment les morceaux enregistrés avec Art Zoyd, ce qui signifie généralement une formation de musique de chambre complète.

Zaboitzeff parvient toujours à créer des combinaisons sonores surprenantes. Dans "Dr Zab am Wolfgang See", par exemple, le beatboxing, une chanteuse d'opéra, des claviers électroniques, une guitare basse, des rythmes programmés et des sons de harpe forment une image globale inhabituelle. "Sangria" sonne comme un numéro de musique de chambre électronique d'avant-garde d'inspiration orientale. Dans certains morceaux, le compositeur utilise des rythmes prononcés. Dans "Introitus", on assiste même à une fusion de rythmes technoïdes avec la musique de chambre et des chants d'opéra (voire de zeughl ?). Dans le même ordre d'idées, "Touch" fait coexister des rythmes électroniques très puissants avec des chants féminins d'opéra. "Requiem" et "Libera Me" (tous deux tirés de l'album "Missa Furiosa" de Zaboitzeff & Crew) me font l'effet d'un opéra de Zeuhl bombastique. Une conclusion impressionnante à une compilation très intéressante.

Les collectionneurs et les vrais fans pourront également découvrir des morceaux peu connus sur les 3 CD, notamment des enregistrements live, des singles, ou des versions retravaillées, ou remixées.

Avec "50 ans de musique (s)", on dispose d'un matériel sonore très précieux qui, de par son énorme diversité, ne laisse guère place à l'ennui et constitue un voyage musical fascinant. Surtout si l'on aime le prog de Zaboitzeff, ce qui signifie en gros une fusion obstinée d'éléments de style électronique, de musique classique moderne et d'avant-prog. De temps en temps, on y ajoute des éléments de musique du monde, d'opéra, de jazz, de symphonie progressive et de folk. 

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Prog résiste (B)


Interview Contact - Thierry Zaboitzeff (solo, ex-Art Zoyd)
Entretien avec : Thierry Zaboitzeff
Propos recueillis par : Tom Charlier

Janvier - Février 2023


Par une nuit introspective zébrée d'incertitude(s), nous avons cheminé vers le cabinet de curiosités du Docteur Thierry Zaboitzeff, expert plus que patenté en potions capiteuses et autres estranges émanations transmutatoires, qui tisse depuis plus d'un demi-siècle, méticuleusement et avec tout le soutien de l'éclectisme électronique accumulé de près de deux cents ans de dystopies steam punk, la matière des beaux mauvais rêves d'une semi-trouzaine de futurs alternatifs concassés et décompressés. Nous avons osé demander à cet archimage confidentiel quelques indications sur sa recette, qui demeurera secrète à moins de bien délier ses propos initiatiques.

Prog-Résiste : Le 22 septembre dernier, vous venez de sortir un coffret rétrospectif sur vos 50 Ans de Musique(s), pour lequel vous n'avez pas adopté un regard chronologique, ce qui est, avouons-le, dépaysant et créatif dans la conception même. Quels sont les principes fondateurs qui ont présidé à cette sélection et réunion ? Notez que par souci de cohérence interne, nous adopterons ce même regard atemporel pour notre interview.

Thierry Zaboitzeff : Dès le moment où j’avais décidé de m’attaquer à cette anthologie, je n’en aurais jamais imaginé la difficulté pour lui donner un souffle, un élan. Je ne me suis rien refusé et le premier choix fût de travailler ma playlist de manière chronologique, ce qui se révéla un fiasco total, je veux dire par là que cela me semblait lourd, redondant, inécoutable et n’aurait d’intérêt que pour les fanas d’archives datées… Je ne voulais surtout pas proposer ce genre de lecture de ma musique… Il m’a fallu aller en avant puis en arrière puis en avant pour enfin dans les premiers temps, tout mettre à la corbeille avant de recommencer…
Inconsciemment, je souhaitais proposer un voyage au coeur de mes sons, de mes orchestres imaginaires, de mes espaces virtuels ou non. Je ne pouvais être que le seul à décider de cela et de le mettre en oeuvre. Je remettais tout à plat, puis réalisais une nouvelle sélection de morceaux les plus variés possible au sein de mon catalogue, avec ce matériau sonore, je proposerai un voyage hors du temps, de mon temps, en laissant filer mes compositions suivant mon humeur et chemins de traverses que je prends souvent lorsque je compose quelque chose de nouveau.
Tel est le secret de ce coffret rétrospective. J’ai pour la cohérence sonore, remixé ou idéalisé certaines compositions ou dans certains cas, rejoué et ré-enregistré. (voir le booklet…)

PR : Si ma chronologie est exacte, Prométhée et Dr. Zab & his Robotic Strings Orchestra demeurent les seuls albums solo que vous avez réalisé tout en gravitant toujours pleinement au sein d'Art Zoyd. Qu'est-ce qui vous a lors poussé à sortir ces albums sous votre propre nom ?
TZ : Dans les années 82-83-84…, parallèlement à Art Zoyd, j’ai eu l’occasion de travailler pour une compagnie de Théâtre (Collectif Théâtral du Hainaut) pour laquelle durant de nombreuses années, je composais des musiques de scène… Cette expérience m’a totalement investi et enrichi. La musique de l’album « Prométhée » est issue de ce contexte . Pour la toute première fois, je me trouvais dans la situation d’écrire, jouer et enregistrer de la musique sans devoir l’imaginer pour un groupe ou ensemble instrumental en particulier et dans ce cadre, j’allais me lâcher réunissant toutes sortes d’objets et instruments que détournais allègrement de leur usage habituel, ainsi par exemple, mon violoncelle, me servait à fabriquer du vent par frottement des cordes avec des éponges en utilisant conjointement des echos successifs.
Mon but premier étant de planter des décors de sons que je n’imaginais pas être joués par un groupe, à cette époque là… C’était là une démarche intime que je tenais à poursuivre en solo tant que ce langage serait différent de celui d’Art Zoyd.

Concernant « Dr Zab & his Robotic Strings Orcherstra » Il en fût de même, toutes ces musiques provenaient de productions pour le théâtre et dans la fièvre de ces années là, je m’empressais d’en éditer une suite qui serait attrayante sur CD, ce qui fût le cas, je crois ! Puis je me suis pris au jeu, je me suis inventé un personnage « Le Dr. Zab » et de fil en aiguille, parallèlement à mes activités Art-Zoydiennes, j’allais me retrouver sur scène en sorte de « MC » comme l’on disait à cette époque, pour un show entre grandiloquence instrumentale, électro-acoustique et séquences très clipées souvent tournées en dérision car je ne me prenais surtout pas au sérieux. le concert était introduit par une chanson de Luis Mariano qui hurlait depuis mon ghetto blaster utilisé pour mon entrée en scène et se terminait par un bis joué sur un violon-jouet automatique que j’avais toujours peine à mettre en oeuvre pour les besoins de la situation. Vous l’aurez compris, loin des musiques sérieusement bombastiques que je paratiquais pour et avec l’Art Zoyd d’alors…


PR: À propos de l'utilisation de la voix en tant qu'instrument à part entière, quelles sont les influences des différents types de musique vocale traditionnelle sur vos compositions ? Les polyphonies sardes et balkaniques ainsi que le chant guttural mongolien en font-ils partie ?

TZ : Oui, ce sont des chants et des techniques qui m’ont beaucoup intéressé, pas pour les reproduire strictement mais pour les introduire de différentes manières dans mes compositions, plus particulièrement le chant guttural que j’ai beaucoup mêlé à mes sons de basse et de violoncelle pour en produire des timbres si particuliers ou des masses parfois non-identifiables.
Mais je dois dire aussi que j’aimais beaucoup certaines façons de chanter de Tom Waits.
J’ai toujours adoré l’utilisation de la voix, rarement dans un format chanson, plutôt comme une palette supplémentaire dans mes couleurs sonores…


PR: Quasiment simultanément avec Häxan, vous avez exploré de la musique théâtrale chambriste et futuriste avec Heartbeat. Avez-vous des accointances stylistiques avec le RIO de Dagmar Krause et spécifiquement l'album Desperate Straights de Henry Cow/Slapp Happy ?

TZ : Non, Henry Cow est un groupe que j’ai particulièrement écouté et aimé sur les albums « Unrest » et « In Praise of Learning » Ces productions font partie de ma culture musicale au même titre que beaucoup d’autres. J’ai toujours évité tant que je le pouvais de ressembler à tel ou tel courant ou tendance, cela m’a parfois desservi par rapport aux réseaux mais j’en retire une pleine satisfaction aujourd’hui. Bien sûr, je peux affirmer que chaque son et musique que nous apprécions tout au long de notre vie laisse malgré nous une empreinte indélébile.


PR: Comme à l'écoute des trilogies fondatrices de Magma, on ressent une forte influence SF dans votre musique, notamment dans la manière dont vous dépeignez des entours sonores dystopiques, aux reliefs émotionnels délicieusement accidentés. Quelle a été l'impulsion initiale qui a mené à cette démarche, et pourquoi est-elle restée pérenne ? En d'autres termes, qu'est-ce qui fait selon vous sa longévité ?

TZ : Pour ma part, dans mes musiques, je ne fait aucune référence à la SF littéraire ou filmique.
Même si je plante parfois des décors dystopiques, c’est pour mieux en sortir quelques minutes plus tard. Ce que je trouve absolument unique et très palpitant dans la création sonore et uniquement musicale, c’est qu’en l’absence de mots, d’images, nous puissions frissonner à la simple réception d’un son ou d’un groupe de sons et je me plais à ménager des contrastes saisissant dans cet univers particulier qui est le mien. Parfois au départ d’une composition, sur un simple son de voix, je m’imagine une légende ou le début d’une légende qui n’existe pas puis l’agencement des sons des rythmes font le reste… Le Voyage… La Magie… Le Rêve…

PR: Vous avez rejoint Art Zoyd en 1971. Comment avez-vous vécu et influencé le passage de flambeau entre les fragrances psychédéliques du groupe mené par Rocco Fernandez et les premiers albums du groupe à la fin des Seventies ?

TZ : Gérard Hourbette et moi-même sommes entrés ensemble dans Art Zoyd en 1971 à l’invitation de Rocco Fernandez. Je dois dire que nous étions des gamins à cette époque et manquions de maturité mais il nous fallut peu de temps pour trouver notre place dans le groupe, d’en accepter et comprendre les codes puis de les développer et les transcender ensemble jusqu’à notre album culte de 1976 « Symphonie pour le jour où brûleront les cités »
Je raconte ceci sous forme d épisodes sur mon site à l’adresse suivante 
https://www.zaboitzeff.org/zaboitzeff-raconte.html
vous y trouverez moult et savoureux détails qu’il serait trop long de développer ici.


PR: Est-ce l'amour de la musique Zeuhl et du RIO qui vous a mené vers la musique contemporaine du XXe siècle ou l'inverse ? Quel sont vos premières découvertes musicales dans les deux domaines (rock et avant-garde), et y a-t-il un (ou plusieurs) artiste(s) que l'on pourrait considérer comme pont(s) entre les deux ? En clair, comment êtes-vous passé de Neil Young à Magma et Varèse ?

TZ : Comme adolescent et passionné de musique Rock et sans culture musicale particulière, et sans imaginer un instant que je serai un jour musicien et compositeur, j’écoutais beaucoup de choses, les inévitables Beatles, Stones, Kinks… Puis Hendrix, les premiers Pink Floyd… Le choc se produisit lorsque que découvrait Frank Zappa et les Mothers sur une chaine de TV et il en fût de même lors de la sortie du premier double album album de Magma. Tout ce foisonnement d’inventions musicale affutait ma curiosité et très vite, je me suis mis en recherche des origines de ces musiques qui avaient créé en moi une irrésistible envie de devenir musicien et je remontai à Edgar Varèse, Igor Stravinsky, Bela Bartok, Serge Prokofiev, les Musiques Anciennes, Le Jazz avec Miles Davis et John Coltrane, Berio, ligeti… Je m’offrais ainsi une nouvelle culture musicale suscitant bien d’autres envies.

PR: Art Zoyd est reconnu pour ses associations multimédia et ses accompagnements musicaux de films muets des années - mille neuf cent - 10 et 20 (Häxan, Nosferatu, Faust et votre bande son du Cabinet du Docteur Caligari pour ne citer que ceux-là). Avez-vous d'autres projets prévus dans cette lignée ? Quelle a été votre plus grande gageure en la matière ?

TZ : A ce jour, je n’ai pas d’autre projet de ce genre, j’estime avoir déjà tellement expérimenté
dans ce domaine que cela ne me semble plus un « must », une priorité. Avec le recul, le point culminant me semble être le Nosferatu de Murnau que nous avions entrepris avec une certaine innocence et inexpérience mais avec beaucoup d’audace, ce qui a contribué au succès mondial de ce projet soutenu par cette imagerie autour du vampire.
Je mettrais à part les excellents projets Faust, puis Häxan qui mettra un terme à ma carrière avec Art Zoyd, je ne voulais plus actionner des samplers et des boucles au pied d’un écran, nous avions déjà tout dit alors que Gérard Hourbette souhaitait poursuivre cette démarche et l’orienter vers un langage musical plus aride loin de mes envies artistiques.

Quinze années plus tard, je recevrais l’invitation du festival Berlinois « Somnambule ERSTES INTERNATIONALES CALIGARI à créer un nouvel environnement sonore en live sur Le Cabinet du Dr Caligari de Robert Wiene, quasiment sur les lieux du tournage de ce film. J’hésitait un instant car je craignais de retomber dans certains travers puis après quelques essais concluants, je trouvais les chemins excitants d’une nouvelle création et je peux dire que c’est mon meilleur projet de ciné-concert car il me semble que je sois parvenu à un équilibre musical entre instrumental traditionnel et électro-acoustique juste et bien maitrisé. Ce n’est que mon opinion bien sûr !
Je vous invite à consulter cette page pour plus d’information.
https://www.zaboitzeff.org/the-cabinet-of-dr-caligari-cine-concert.html

PR: Voyez-vous quelque chose d’oulipien [par rapport à l'Oulipo, laboratoire de littérature
Je ne pense pas avoir quelque chose en rapport avec ce mouvement littéraire, si ce n’est que je tente souvent de déjouer mes habitudes par certaines contraintes notamment lors de commandes de musique pour lesquelles je m’impose parfois de n’utiliser qu’un seul type d’instrument, soit acoustique, soit électronique ou les deux.

PR: J'ai personnellement beaucoup apprécié le lyrisme cinématique, le folklore imaginaire, la puissance évocatrice ambient et les paysages sonores de Professionnal Stranger. Cet opus laisse parler quelques clins-d'œil et influences inattendus, notamment via les covers de Depeche Mode, Bananarama et - mais peut-être est-ce moi qui fabule - la légèreté folk innocente d'un Lars Hollmer. Pouvez-vous nous détailler quelque peu le processus de création de cet album ?

TZ : La Musique de Professionnal Stranger est en partie composée pour un projet chorégraphique et théâtral « Long Life « « editta braun dance company » https://www.editta-braun.com/e/productions/long-life.html pour lequel, nous avions besoin de références rock assez typée et après quelques recherches, je me suis souvenu de Venus (Shocking Blue) que j’adorais lorsque j’étais adolescent, je décidais donc d’en faire une reprise et cela m’a beaucoup amusé d’autant que la couleur sonore générale du spectacle tournait autour de l’accordéon que j’ai utilisé sur toute la bande son du spectacle et il en fût de même concernant « Enjoy The Silence » (Martin Gore - Depeche Mode - Album Violator) morceau que je me suis complètement approprié et adapté pour une scène parlant de l’âge, du temps qui passe et qui ne revient pas en arrière. Même si les thèmes de la pièce sont graves, j’ai intentionnellement traité mes compositions et soundscores pour dégager de la légèreté et de l’insouciance sur un rythme cinématique comme vous le dites très bien et aussi en introduisant des couleurs folkloriques d’Europe de l’Est.


PR: Quels sont vos projets dans l'immédiat ? Une suite de l'EP Pagan Dances est-elle envisagée ou est-il prévu comme une œuvre autonome ?
A cet instant, je dirai que je suis en recherche, purement dans la composition


TZ : A cet instant, je dirai que je suis en recherche, purement dans la composition, des projets attendent que je me dégage du temps comme par exemple enregistrer une adaptation électronique et libre de chants et danses de pèlerins qui se rendaient au monastère de Montserrat près de Barcelone à la fin du Moyen Age pour y vénérer une vierge noire. Ces chants composés par des anonymes furent collectés et notés par les moines dans un livre à la couverture de velours rouge qui porte donc ce titre : “Llibre Vermell de Montserrat” le plus célèbre recueil de chants de cette époque. J’avais monté ce projet avec une chatneuse (Sandrine Rohrmoser) pour quelques concerts en 2004 puis j’ai dû passer à autre chose… Je m’y replonge bientôt.
https://www.zaboitzeff.org/llibre-vermell.html

PR: Par pure curiosité, quels sont aujourd'hui votre pièce d'Art Zoyd et votre composition personnelle favorites, et pour quelles raisons les recommanderiez-vous ? Si ce dernier élément de réponse va de soi, point n'est besoin de le préciser ! Un tout grand merci pour cet entretien à distance éclairant.

TZ : Je ne parlerais pas de pièces mais plutôt d’albums qui sont « Phase IV / Le Mariage Du Ciel et de l’enfer / Les Espaces Inquiets et Berlin ». Ces quatre disques sont pour moi des étapes importantes et charnières dans ma carrière musicale avec Art Zoyd. Nous avons énormément investi humainement, musicalement et ensemble pour monter ces projets et les tournées liées à cette époque.

Merci à vous et à Progrésiste.

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Exposé (USA)


Reviews | Thierry Zaboitzeff - 50 Ans de Musique
Thierry Zaboitzeff — 50 Ans de Musique (Woof Music WPTL, 2022, 3CD)

par Peter Thelen (12/12/2022)


Pendant plus de 50 ans, Thierry Zaboitzeff (TZ à partir de maintenant) a été un musicien actif en France, et plus récemment dans d'autres pays (Suisse, Autriche, etc.), perfectionnant son art, d'abord en tant que guitariste, puis bassiste, violoncelliste, et enfin compositeur et multi-instrumentiste à part entière, de sorte qu'il a produit suffisamment de matériel enregistré pour sortir ce coffret rétrospectif de trois disques, 50 Ans de Musique. TZ et son ami Gérard Hourbette ont commencé à jouer ensemble à l'adolescence dans le nord de la France, TZ à la guitare douze cordes et Hourbette au violon et aux percussions, rejoints par un bassiste, le trio prenant le nom de Rêve 1. Ils rencontrent le guitariste Rocco Fernandez, qui a son propre groupe, Art Zoyd, qui vient d'enregistrer et de sortir son premier single, "Sangria". TZ et Hourbette rejoignent Art Zoyd en 71, faisant du groupe un quintet, mais avec les musiciens qui quittent et rejoignent le groupe avec régularité, le jour arrive où le bassiste du groupe part, et en conséquence TZ passe à la basse. Les années suivantes ne sont pas faciles - le groupe joue beaucoup en concert, dans toute la France en fait, mais survit à peine, vivant dans des camps et des tentes entre les concerts, mais tout en développant leur propre style de musique rock expérimentale. En 75, sans aucune autre sortie, Fernandez - qui était jusqu'alors le seul compositeur du groupe - se retire du groupe et laisse sa direction à TZ et Hourbette. Plus tard, le batteur du groupe a quitté le groupe, et ils ont décidé d'aller de l'avant sans batterie, et de sortir leur premier long-player Symphonie pour le jour où brûleront les cités, sorti en 1976. À cette époque, Art Zoyd commençait à se faire connaître, jouant dans des festivals, faisant des tournées avec Magma, et développant un public. De la fin des années 70 à 1997, date à laquelle ils se sont séparés, TZ a enregistré une autre douzaine d'albums avec Art Zoyd, avant de se mettre à son compte pour enregistrer des bandes sonores, des pièces commandées pour la danse moderne et bien d'autres choses encore, ainsi que pour former les groupes Zaboitzeff & Crew et Aria Primitiva.

Les trois disques sont remplis à ras bord de morceaux de sa longue carrière, la plupart tirés des quelque 18 albums sortis après 1997, y compris des versions live qui ne sont disponibles nulle part ailleurs, mais aussi des morceaux de ses deux albums solo sortis alors qu'il était encore membre d'Art Zoyd, plusieurs morceaux classiques d'Art Zoyd, une poignée de morceaux de Zaboitzeff et Crew, quelques splendides exemples d'Aria Primitiva, et même la version personnelle de TZ du premier single d'Art Zoyd de 1971, en hommage au fondateur du groupe, Rocco Fernandez. Tout au long de l'album, vous entendrez une variété de styles allant du néo-classique aux bandes sonores, en passant par des pièces d'avant-garde et des rencontres sauvages avec l'électronique, le tout provenant de tous les horizons musicaux. Le premier disque contient l'intégralité des quinze minutes de "Pagan Dances" de 2021, le remarquable "Epreuves d'acier - Fragments d'une Forge", enregistré avec des membres d'Art Zoyd en 1995, et "Mein Augenstern" de la version réenregistrée de Nebensonnen, parmi de nombreuses autres surprises. Sur le deuxième disque, on trouvera un extrait de la bande originale du film muet classique de TZ, Le Cabinet du docteur Caligari, la spacy et hypnotique "Mariée à la nuit" enregistrée avec Erik Baron / d-zAkord avec six guitares électriques et trois basses, tirée de son album Sixteenth (2012), et le groove électronique "Die Maschine" tiré de son CD Multiple Distortions. Le troisième disque commence par l'aventureuse "Sleep No More", tirée du premier album de son trio Aria Primitiva, une chanson qui trouve son origine dans l'album Nosferatu d'Art Zoyd ; quelques pistes plus loin, nous avons la version intégrale de quatorze minutes de "Aria Primitiva", tirée du même album. "Children's Corner" est un beau morceau mélodique qui date de son album solo du début des années 90, Dr. Zab and his Robotic Strings Orchestra. Bien qu'une grande partie de la musique présentée ici soit instrumentale, TZ comprend quelques morceaux vocaux étonnants, dont "Introitus", tiré de l'album Missa Furiosa (2004) de Zaboitzeff & Crew, qui rappelle un peu les débuts de Magma, mais avec une touche plus électronique. Même si un auditeur ne connaît que peu ou pas du tout le travail de TZ, ou même seulement ses premiers travaux avec Art Zoyd, les 43 titres de 50 Ans de Musique constituent une introduction remarquable à sa longue et variée carrière, que je recommande vivement.

Classé sous : Archives, 2022 sorties
Artiste(s) associé(s) : Thierry Zaboitzeff, Art Zoyd, Aria Primitiva
Plus d'infos sur http://thierryzaboitzeff.bandcamp.com/album/thierryzaboitzeff-50-ans-de-musique-s
Traduit avec www.DeepL.com/Translator (version gratuite)

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Progjazz (CL)


ProgJazz se viste de etiqueta: Entrevistamos a Thierry Zaboitzeff
ProgJazz : Entretien avec Thierry Zaboitzeff

par Rodrigo Oyarce - 06/12/2022


1) Qu'est-ce que vous pouvez nour dire sur "50 ans de Musique (s)" et sur le processus de compilation de l'enorme héritage artistique que vous avez fait pendant toutes cettes années ?
J’aurais bientôt 70 ans… A cette occasion, je pense que tout humain, par réflexe et honnêteté se retourne et retrace une sorte de bilan de sa vie, de son travail ; c’est ce que j’ai voulu faire tout simplement en célébrant ces cinquante années d’activités musicale avec la sortie de cette anthologie. J’y ai travaillé plus d’une année à lister, écouter, re-masteriser, remixer, ré-enregistrer certaines pièces puis jeter, recommencer jusqu’à trouver un itinéraire de (Voyage) idéal sur mes chemins de musique(s) selon moi et quelques proches. Dans ce travail, j’ai voulu éviter toute chronologie, ce qui donne une sorte de légèreté pour entrer sans se rendre compte dans différentes époques de ma carrière. Toutes époques confondues, on peut voyager entre mes projets solos, certaines de mes créations avec Art Zoyd - Zaboitzeff & Crew - Aria Primitiva…

2) Comment est le processus créatif quand vous commencez avec une pièce ou projet artistique ? Quel sont les types d'endroits conceptuels ou de subconscient que vous visitez pour donner vie à votre art ? Ou est-ce que cela est quelque chose de plus tangible ?
A mon sens, il y a différentes façons de démarrer une composition ou un projet, j’ai souvent essayé de ne pas avoir de règles… Mais j’ai constaté justement en me retournant un peu sur mon passé, que j’avais finalement quelques « trucs » pour me forcer à être différent à chaque composition, comme combattre une routine.
Lorsque je compose pour moi même, je me permets absolument tout, comme me raconter une histoire ou pseudo légende pour installer une atmosphère et ces histoires sont vite oubliées dès que mon décor est planté. Le reste n’est que sons, rythmes arrangements, déroulement, développements, fantaisie, liberté…
Une composition peut naître d’une simple suite d’accords de basse, piano ou violoncelle ou d’un son que j’ai en tête mais qui me semble ne pas exister, alors je creuse, je sculpte, j’examine, je me recule, je re-sculpte aussi dans le studio sur mes samplers et éditeurs de sons et cela devient aussi souvent très physique même si le morceau est en apparence parfois cérébral. Dans tous les cas, je cherche une émotion non verbale.
Comme de plus, je suis autodidacte, je ne m’embarrasse jamais de préceptes en ce domaine.
A mon sens, la musique et les sons ont cet avantage de proposer des espaces totalement ouverts contrairement aux mots, aux images concrètes et reste à chacun de se laisser emporter, y compris moi…

3) Vous avez collaboré avec la choréographiste Editta Braun, avec les réalisateurs Stéphane Vérité et Beda Percht. Qu'est-ce que vous pouvez nous raconter sur les projets que vous avez eu avec eux et si le processus créatif a été différent à vos projets musicaux personnels ?
- Je travaille avec Editta Braun depuis 1997, nous avons démarré par un projet live commun « Heartbeat « Théâtralisé, où danse et musique se mêlaient très étroitement, je vous renvoie ici pour les détails https://en.zaboitzeff.org/en-heartbeat.html
Nous collaborons sans cesse depuis. et nous avons fini par nous marier en 2020, c’est vous dire si notre relation artistique et humaine est profonde.

Sur chaque projet pour sa compagnie de danse, Editta me demande souvent de travailler sur un matériau sonore et conceptuel différent, ce que j’adore faire et expérimenter. Par exemple sur son projet INDIA, j’ai travaillé sur des sons et ambiances qu’elle ma ramené de son voyage en Inde lors des premières sessions de travail sur place, puis elle m’a donné quelques éléments de dramaturgie, le côté nostalgique et « TechnoWorld » se sont invités en cours de travail à mesure de l’élaboration des scènes.
Idem pour le projet « Nebenesonnen », tout devait être écrit autour du piano. Pour Miniaturen, la musique devait être live avec un groupe à la Art Zoyd : Zaboitzeff & Crew. Sur le projet Luvos, cela devait sonner majoritairement électronique et ainsi de suite…

Stéphane Vérité (Metteur en scène) je l’ai connu lorsque j’étais encore dans Art Zoyd. Par lui, nous avions eu la commande d’une bande son pour un spectacle évènementiel : L’inauguration de la la plus grande salle d’Europe « Le Globe Arena » à Stockholm (s) . Le public pouvait voir le spectacle de lumières et de projections diffusées sur le bâtiment en forme de globe d’un peu partout autour de la ville et le public recevait le son diffusé par la radio dans la voiture.
Par la suite, j’ai collaboré avec Stéphane sur le projet de Théâtre « Alice » pour lequel j’étais présent sur scène en live, puis d’autres évènementiels assez importants.

Avec Beda Percht, c’était aussi du théâtre et de l’évènementiel, le dernier parmi les plus importants remonte à 2011 pour un spectacle uniquement pyrotechnique devant 100 000 spectateur à Linz (A) sur les rives du Danube avec la compagnie « Pyrovision » : 2011 – Feuerwelt. Eine Science Fiction - LINZER KLANGWOLKE 2011

En général tous ces projets sont à la base des commandes mais que cela soit avec Editta, Stéphane et Beda, comme nous avions beaucoup plus que de l’estime l’un pour l’autre, une confiance et un respect mutuel contribuaient à de belles collaborations.

4) Comment est-ce que le développement pour la création de votre premier disque en solo, "Prométhée" en 1984, a-t-il eu lieu ? Qu'est-ce que vous pouvez nous dire sur votre évolution comme artiste propre, et non pas seulement comme musicien de Art Zoyd ?

En 1984 donc, avec Art Zoyd, nous étions sur le point d’enregistrer notre Album « Les Espaces Inquiets » et parallèlement, j’étais contacté par une toute jeune compagnie de théâtre de Valenciennes (F) la ville dans laquelle je vivais à cette époque. Le directeur Philippe Asselin et l’administrateur Thierry Dupont me proposèrent de composer et d’enregistrer la bande son d’une de leur première création « Prométhée enchainé » d’après Eschyle. Au regard de la tâche à accomplir, seul à la base et hors du cadre Art Zoyd, je rassemblais tout ce qui pouvait sortir un son inhabituel en plus de mes instruments de prédilection (Violoncelle, basse, un peu de guitare…) et j’improvisais un studio dans la toute petite maison que j’occupais avec mon épouse d’alors.
Pour ce projet, j’avais complètement décidé d’oublier la façon dont je composais pour et avec Art Zoyd. Je me mettais à expérimenter beaucoup avec les bandes magnétiques et les sons concrets que je reversais et saturais et j’utilisais aussi sans vergogne le re-recording parfois pour doubler des instruments ou pour salir et dégrader le son encore et encore afin obtenir la pâte dont je rêvais. Je prenais un énorme plaisir à m’étaler, m’étendre, prendre mon temps… Ce moment de remise en question fût très important par la suite dans mon travail y compris dans le reste de mes années Art Zoyd. Ce n’était pas une fin en soi mais une étape, un moment très fin, si particulier et unique dans toute ma démarche. C’est quelques mois plus tard que je déciderais d’en faire un album en concentrant tous ces sons sur deux fois 19 minutes environ, vinyle oblige.


5) Quelles sont vos mémoires et la vision que vouz avez donné aux projets tels comme "Missa Furiosa", "Dr. Zab", "Llibre Vermell" ou "Aria Primitiva" ?

Missa Furiosa.
Longtemps dans Art Zoyd, je me moquais du fait que nous composions souvent des choses très puissantes et solennelles appuyées d’accords d’orgues qui au fil du temps m’évoquaient des ouvertures ou temps forts pour les offices. De plus, lorsque j’étais enfant, j’accompagnais mon grand-père maternel qui était organiste, il m’emmenait avec lui dans la tribune… J’étais fasciné et emporté par les sonorités puissantes de ces tuyaux d’orgue soutenant ce Rituel Catholique qu’est la Messe… Ces images et sons de l’enfance sont encore imprimées en moi aujourd’hui.
Bien plus tard, vers 2001-2002, j’étais en quête de quelque chose de différent sur une base « Technoïde » mais façon ancien Art Zoyd avec de la voix, du chant omniprésent, de la puissance. Je retrouvais alors dans mes archives récentes quelques thèmes que j’allais développer dans cette direction, je crois que ma première tentative, sans savoir que j’écrirais ensuite une messe fût Agnus Dei, je trouvais là toutes les clés d’un projet qui s’appellerait MISSA FURIOSA j’ai d’abord improvisé quelques grooves, assemblé, dramatisé, ajouter des overdubs d’orgue, puis très vite, j’ai improvisé des voix mais je n’étais pas très satisfait car j’utilisais toujours mon pseudo language « zaboitzeffien-zoydien » jusqu’au moment où je décidais d’essayer avec n’importe quel texte et complètement par hasard, par défaut, l’idée m’est venue de faire un bout d’essai avec des bribes de texte en Latin du rituel liturgique Catholique sans me préoccuper du sens profond et de la représentation que cela pouvait avoir. Je tentais différents style de voix et le plus intéressant était le chant Lyrique qui allait devenir une des bases de ce projet. J’allais constituer un groupe de base « Zaboitzeff & Crew » pour la partie instrumentale, puis j’invitais quelques chanteurs classiques à participer à cette Missa Furiosa.
Avec cette Messe, je ne suis pas devenu subitement Chrétien, ce qui m’intéressait, c’était le rituel, la pompe, d’une certaine manière, la manipulation des esprits dans ces rituels fastes, grandiloquents.

En toute conscience, j’ai bien pris garde de ne pas être blasphématoire ni outrancièrement critique. là n’était pas mon but (même si…)
Lors de la première, dans le public, il y avait un Moine qui je crois, a acheté le CD et cela m’a touché et questionné.

Dr. Zab.
Bien des années auparavant, (90’s) je passais beaucoup de temps dans notre studio (Art Zoyd), j’expérimentais tout ce qu’il était possible de faire avec les samplers et sequencers de l’époque.
Je me revois tel un savant fou dans toutes sortes de manipulations electro… Je me faisais appeler alors Dr. Zab par dérision…
C’était un moment un peu vide dans le parcours d’Art Zoyd et fier de toutes mes expériences, je décidais d’en produire un Album solo « Dr. Zab & His Robotic Strings Orcherstra « puis un spectacle solo dans lequel j’étais mis en scène dans le rôle d’un manipulateur de sons, d’instruments véritables ou virtuels, à la façon d’un montreur de marionnettes. la scène était mon laboratoire caricatural et je sautais sans vergogne d’un instrument à l’autre, d’un style à l’autre, c’était très jouissif pour moi…

LIibre Vermell (2004)
Depuis des décennies, je rêvais d’une adaptation électronique et libre de chants et danses de pèlerins qui se rendaient au monastère de Montserrat près de Barcelone à la fin du Moyen Age pour y vénérer une vierge noire. Ces chants composés par des anonymes furent collectés et notés par les moines dans un livre à la couverture de velours rouge qui porte donc ce titre : “Llibre Vermell de Montserrat” le plus célèbre recueil de chants de cette époque.
Je trouvais ces chant magnifiques, prenants, direct et en un mois, je reconstituai chaque pièce et je les orchestrais dans un mode qui m’était personnel de manière à pouvoir les interpréter en duo et en live. J’invitais la chanteuse Sandrine Rohrmoser à créer ce duo avec moi, ce qu’elle fit brillamment en moins d’une semaine. Malheureusement pour diverses raisons, nous avons très peu joué ce répertoire que l’on pouvait qualifier de « In Progress » Beaucoup de temps a passé mais ce projet est toujours au fond de notre coeur et nous pensons le retravailler, l’améliorer et l’enregistrer enfin (2023 ?)

Aria Primitiva
De nouveau en groupe, j’ai eu le sentiment de reconstruire et revivre de manière un peu différente
le concept « Art Zoyd » des années 80-90 : un groupe avec une originalité, une personnalité forte, unique. Chaque fois que j’ai retravaillé avec d’autres musiciens, c’est ce que j’ai toujours recherché. Ce fût encore le cas. Aria Primitiva me donnait un nouveau souffle dans cette direction.
Je vous engage à relire ici comment s’est formé ce groupe
A trois Musiciennes -ciens, nous étions un commando rompu parfaitement à la technologie et d’une grande maîtrise instrumentale. J’en étais le seul compositeur mais nous avions prévu et aménagé de belles plages d’improvisation. J’avais mis beaucoup d’espoir dans cette formation puis devant les difficultés de management et l’atténuation de l’engagement de mes collègues sur ce projet, je décidai de dissoudre ce groupe pour un temps puis le Covid est arrivé et il me fût impossible de remonter Aria Primitiva dans de bonnes conditions et je décidais donc de passer à autre chose. Je reste très fier de ce projet et je remercie encore vivement toutes les personnes qui m’ont aidé à le réaliser (Nadia Ratsimandresy - Cécile Thévenot - Editta Braun - Iva Lirma - Xavier Collin et Monstre Sonore)


6) À propos de l'adaptation musicale en direct de "Das Cabinet des Dr. Caligari", Comment a-t-elle eu votre expérience à recréer, avec vos qualités de compositeur, l'ambiance lugubre donnée à tel chef-d'oeuvre de l'expressionnisme allemand ?
En rapport avec le précédent, et en prenant compte la personnalité cinématographique de votre style, Est-ce qu'il y a un film dans lequel vous voudriez bien "faire accompagnement" musical en direct à l'avenir ?

Lorsque j’ai quitté Art Zoyd en 1997 après trois projets de ciné-concert sur près d’une décennie,
je m’étais dit : » Plus jamais de ciné-concerts !!! ». J’avais souffert sur la fin de cette période de toujours rester coincé au pied d’un écran à balancer des boucles et rejouer par dessus dans ce contexte devenu peu à peu un espace réservé à une certaine élite banchée « expressionnisme Allemand « dans ce cas… J’ai le souvenir que dans certains lieux où nous étions invités à nous produire certains organisateur n’avaient absolument aucun regard sur notre performance…
J’étais impatient de sortir de cette routine culturelle et d’initier d’autres projets en plus des ciné-concerts, ce ne fût malheureusement pas possible au sein de Art Zoyd à ce moment là. Alors vous connaissez la suite et les conséquences…

13 années plus tard, Claus Löser qui co-dirigeait le ERSTES INTERNATIONALES CALIGARI - FESTIVAL IN BERLIN m’invitait à composer une musique originale et accompagner en live LE CABINET DU DOCTEUR CALIGARI pour l’ouverture de ce festival, secrètement, j’étais assez réticent mais tout était réuni pour en faire un évènement : La gentillesse des organisateurs de la Brotfabrik - Berlin - Weissensee - Caligari Platz - Delphi, sur les lieux même où ont été créés ces films dans le Berlin des années vingt. Alors j’allais relever ce défi en quelques mois…
J’ai visionné le film de très nombreuses fois avant de comprendre vraiment ce qu’il s’y passait, quelles étaient les lignes de force, le caractère des personnages et aussi surtout le rôle que je pourrais tenir sur scène musicalement dans tout cet imbroglio quasi psychiatrique.
Je me suis empêché au départ toute retenue en exagérant le côté « foire » pour mieux devenir radicalement plus sombre et obscur quand je le jugeais bon. De mon point de vue, je me sentais comme un acteur sonore sorti de la pellicule et qui allait parfois comme diriger l’action ou à d’autres moment réagir à l’action. Là encore ce fût une expérience sur scène en solo, en solitaire,
très étonnante. J’avais décidé que la musique rigoureusement écrite et en place devait avoir sa propre vie, ses propres cheminements mais qu’avec le film elle engage d’autres pistes de lecture, d’autres émotions et non sans humour.
Je n’ai aujourd’hui en 2022 plus l’idée de travailler sur un tel projet de ciné-concert mais plutôt sur des créations d’images actuelles… en voici un exemple « LUVOS migrations « dont voici un teaser.

7) Selon votre vision, comment est-ce que vous voyez le présent de la musique par rapport à l'avant-garde, l'expérimentation, l'innovation et comment cela pourra affecter la musique à l'avenir ?

Vous savez, je ne suis pas un théoricien, je prémédite très rarement en profondeur mes intentions et comme musicien et compositeur autodidacte, je me réjouis de cette situation me mettant en état de liberté totale dans l’instant. L’avant-garde ne me préoccupe guère, l’expérimentation, je la vis chaque jour et je n’aurais pas la prétention de dire que je suis innovant, je me sens un peu aux confins de tout cela et embarrassé pour répondre à votre question. Je pense que de plus en plus de courants vont se rencontrer en dehors de ces vieilles idées de rivalités entre les anciens et les modernes, des classiques, et des contemporains. depuis longtemps déjà, le Jazz, le Rock, la musique électro sont venus jouer les troublions dans l’espace musical et nombre d’hybridations heureuses me semblent de bonne augure. Dans cette ère de modernité, je reste relativement méfiant vis à vis de toutes ces technologies invasives qui sont trop mises en avant selon moi et qui nuisent ou détruisent parfois tout propos artistique… Je reste ouvert et j’avance !

8) On ne peux pas éviter de vous demander sur Art Zoyd. Ils ont été 26 ans dans cet ensemble sonore, un voyage qui a commencé avec "Symphonie pour le jour où brûleront les cités". Quels moments uniques de création artistique avez-vous eu au cours des années avec le groupe ?
Il y aurait énormément à raconter et ne ne relaterais que les évènements les plus importants.
Les moments uniques furent notre premier album « Symphonie pour le jour où brûleront les cités « composé, préparé, répété, expérimenté collectivement, instruments en main dans des conditions de vie difficile alors pour les musiciens débutants mais acharnés que nous étions.
Ce moment d’une rare intensité fût suivi d’une tournée française en première partie de MAGMA dont une semaine au Théâtre de la Renaissance à Paris. (1976)

- Réalisation de l’album Phase IV, moment clé dans la démarche artistique du groupe Art Zoyd qui sera filmé pour la télévision par Daniel Poteau. De nombreuses tournées en Europe et Europe de l’est suivront… (1982)

La création du « Mariage du ciel et de l’enfer » de Roland Petit puis tournée avec LE BALLET NATIONAL DE MARSEILLE ROLAND PETIT (Scala de Milano - Théâtre des Champs Elysées - Opéra de Marseille et Bordeaux. (1984-85)

L’album « Berlin « puis les tournées partout en Europe avec ce répertoire. (1986-87)

La création du ciné-concert Nosferatu (1988-89)

La rencontre avec la compagnie de danse Autrichienne « Vorgänge Bewegungs Theater »Rencontre décisive. (1986)

Marathonnerre, ce projet complètement fou de théâtre-performance imaginé par le metteur en scène français Serge Noyelle avec sa compagnie et Art Zoyd en live sur scène durant douze heures de midi à minuit sur un rythme endiablé et incessant couronné par une standing ovation de 25 minutes… fantastique souvenir !

9) Et pour finir, la question finale que nous posons à tous nos interviewés, Un disque que vous voudriez recommander d'après votre écoute récemment ?
A cause de mes récentes et multiples activités, le temps m’a manqué pour écouter réellement quelque chose de nouveau en profondeur, alors, je ne voudrais pas vous donner de mauvaises pistes… Mais je vous citerais bien volontiers un artiste très éloigné de mon travail en général que j’écoute et affectionne depuis 40 ans déjà sans jamais être lassé : Jon Hassel disparu aujourd’hui, particulièrement deux albums : « Fourth World, Vol 1 » et « Flash of the Spirit »

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Prog Censor (B)


Thierry Zaboitzeff
 50 ans de musique(s)
rock in opposition – 3:37:59 – France ‘22

par Tibère 04/12/2022

Comme vous pourrez le lire dans l’interview que Thierry Zaboitzeff nous a accordée, cela fait 50 ans qu’il pratique son art, aussi bien en solo qu’avec Art Zoyd, Aria Primitiva ou encore Thierry Zaboitzeff & Crew. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que pour un autodidacte, notre homme s’en sort haut la main. Pour être honnête, je ne connaissais guère ses réalisations car, jeune, je ne disposais que de peu d’argent de poche et je le réservais à l’acquisition de musique progressive bien sûr, mais moins avant-gardiste. Je n’ai fait connaissance avec son univers que lorsqu'il est venu nous présenter son projet Aria Primitiva au Centre Culturel de Soignies, en 2018, à l’occasion du festival Les Intemporelles. J’ai été immédiatement subjugué et conquis, incité que j’étais à suivre sa carrière d’un peu plus près. La sortie de cette compilation qui mélange habilement les époques est donc une chance exceptionnelle de découvrir ce grand artiste d’une gentillesse tout aussi enthousiasmante. C’est pourquoi je vous invite à vous précipiter sur cette sortie.

Tibère

Profitant de la sortie du triple CD «50 ans de musique(s)»,
Thierry Zaboitzeff a accepté de répondre aux quelques questions que nous nous posions à propos de sa carrière.

(Interview réalisée par Tibère.)

Prog censor – Comment te sens-tu après 50 ans à créer des musiques innovantes ?

Thierry Zaboitzeff – Pas mal, merci! Parfois un peu à l’ouest, dans le doute, mais il y a toujours ce petit quelque chose qui me fait repartir, un accord, une idée improbable, un son, le son, une simple vision qui glisse sur d’autres et m’entraînent dans les dédales magiques de la composition, mais je suis comme le petit poucet, je sème des trucs pour retrouver mon chemin…

En fait je me sens très heureux d’avoir pu mener à bien ce projet de rétrospective.

Pc – Peux-tu revenir pour nous sur les débuts de l’histoire. Ce ne fut guère facile. On le voit en parcourant ton site (http://www.zaboitzeff.org/zaboitzeff-raconte.html) où tu relates épisode après épisode (il y en a actuellement huit), 50 ans d’amour (et de galère) musical(e).

TZ – Oui, je vous conseille de les lire, histoire de bien vous rendre compte de ce que cela signifiait d'être musicien et compositeur indépendant en ces temps-là.

Le début de toute cette histoire, c’est la rencontre avec Gérard Hourbette puis Rocco Fernandez qui nous invite dans son groupe Art Zoyd. Rocco nous quitte en 1975 et nous laisse les clefs de la maison et, à partir de là, nous expérimenterons différentes formations d’Art Zoyd avec un tas de musiciens qui viendront, partiront, reviendront… Toutes ces rencontres et expériences déboucheront sur des moments importants: en 1976, notre premier album puis une tournée en France en première partie de Magma; nous serons également avec eux au Théâtre de la Renaissance (Paris) une dizaine de jours. Puis, pour ne citer que les temps les plus forts, nous ferons une tournée européenne en 1984 suivie de la création avec les ballets de Roland Petit «Le Mariage du Ciel et de l’Enfer» (Milan Palais des sports / Paris-Théâtre des Champs Elysées / Marseille-Opéra / Bordeaux-Opéra); pour faire court également viendront les ciné-concerts «Nosferatu - Faust et Häxan»… Ceci nous mène en 1997, l’année où je quitte Art Zoyd (profondes divergences sur de nouvelles orientations, lassitude…).

Mais je souhaiterais vous préciser que ce coffret ne consacre que quelques épisodes à Art Zoyd et que je tiens absolument à défendre et mettre en avant ce que j’ai produit dans les 25 années suivant mon départ de AZ.

Pc – Quel ordre as-tu choisi pour nous présenter l’ensemble de ta carrière?

TZ – L’ordre fut un gros casse-tête. Je ne suis jamais parvenu à monter une playlist chronologique qui se tienne ou alors, si j’y arrivais parfois, cela ne convenait jamais sur la durée. Je prenais donc la décision de m’asseoir sur la chronologie et je me dirigeais plutôt sur l’idée de voyage dans mes musiques, avec mes musiques; cette idée est nettement plus intéressante car elle permet plus d’espace, de finesse, de poésie… De plus, aimant jouer sur les contrastes, j’allais me régaler…

Pc – As-tu remixé certains titres?

TZ – J’ai remixé deux titres sur les 43 proposés: «Unsex Me Here», à l’origine sur l’album «Art Zoyd-Berlin», mais que je reprends et remixe en solo et en live en 2009. Puis «Konzobélé» extrait de l’album «Marathonnerre». Pour d’autres pièces, j’ai refait un mastering de manière à unifier autant que possible la couleur de ces compositions fort distantes parfois dans le temps. J’ai également réenregistré «Baboon’s blood» (de l’album AZ-Berlin) en invitant Daniel Denis (Univers Zero) à y jouer les percussions, ce qui rend la pièce plus vivante et plus sauvage, puis en hommage à Rocco Fernandez, le fondateur de Art Zoyd, j’ai repris dans une version toute personnelle le titre «Sangria» que le groupe d’alors avait enregistré sur un 45 tours chez Opaline Records-Chants Du Monde en 1971.

Pc – Comment étaient réalisées la plupart des compositions, que ce soit avec Art Zoyd ou les autres émanations musicales que tu as croisées?

TZ – Vaste sujet! Tout dépend des époques… Autodidacte depuis fort longtemps, je n’écris pas la musique (sur du papier), j’utilise donc des enregistrements audio ou MIDI faits maison car je joue de plusieurs instruments et, avec le temps, je suis devenu aussi un manipulateur d’électronique (séquenceurs, samplers, effets, computers…) pour communiquer ce que je souhaite, d’une manière relativement précise, lorsque j’interviens avec d’autres musiciens et lorsque je ne fais pas appel à eux, je compose et enregistre directement dans mon studio… Mais le point de départ de mes compositions est rarement très sophistiqué, j’utilise à la base un seul instrument (guitare ou clavier ou basse) sur lequel j’échafaude quelques bribes de ce que deviendra un morceau, en chantonnant même, et je me laisse totalement aller à la fantaisie que je recadre et orchestre ensuite dans le studio.

Le processus est un peu différent lorsque je travaille sur des commandes car, dans ce cas, beaucoup de paramètres viennent interférer, comme la durée, les demandes particulières d’un régisseur ou metteur en scène, le type d’instrumentation souhaité…

Pc – Art Zoyd a eu des occasions de jouer (et partager des musiciens) avec des groupes comme Magma ou Univers Zero. As-tu des souvenirs marquants à partager de cette période?

TZ – Avec Magma, que nous estimions énormément, à part les concerts à la même affiche, nous n’avons rien partagé. Peu après ces tournées, je rencontrais Daniel Denis puis Univers zero et nous mélangerons même nos deux groupes en une sorte de bigband apocalyptique, lors de concerts de réunion. J’ai en mémoire celui de «Nancy Jazz Pulsations», c’était chaud! Il y avait les pour et les contre qui se manifestèrent avec force… Nous n’avons fait que quelques concerts dans cette formation économiquement non-viable à cette époque et puis aussi chaque groupe avait des envies plus personnelles pour l’avenir.

Pc – As-tu quelques souvenirs et anecdotes particulières à partager?

TZ – Il y en a de nombreux et je ne peux pas prendre toute la place ici avec cela. Je parlerai plutôt de faits marquants.

En Juin 1984, à l’invitation du chorégraphe Roland Petit : La première du «Mariage du ciel et de l’Enfer» avec le corps de ballet de la Scala de Milan et notre groupe Art Zoyd au Palais des Sports de Milan durant une semaine. Grand événement qui pour un temps nous sortit de notre quotidien de groupe jouant dans des clubs et autres salles alternatives. De grandes audiences s’offraient à nous avec les moyens techniques à la hauteur. Une équipe formidable de techniciens et musiciens.

Pour l’historique et les anecdotes, je vous invite à consulter ce lien: http://www.zaboitzeff.org/zaboitzeffraconte.html.

Pc – Peux-tu nous parler des années qui ont suivi Art Zoyd, notamment la période Aria Primitiva?

TZ – Dès que je quitte AZ, je me lance dans un tas de projets: danse contemporaine, théâtre… Toujours comme compositeur bien sûr et de temps à autres en live, en solo ou en groupe: Zaboitzeff & Crew sur les projets Miniaturen avec Edita Braun Company, puis Missa Furiosa créé lors du Bruckner Festival Linz en 2002.

Ma rencontre avec la chrorégraphe autrichienne Editta Braun sera le point fort de ces 25 dernières années; je collabore musicalement depuis 1997 à tous les projets de la compagnie, c’est une expérience très forte émotionnellement, très enrichissante, et cela m’a permis d’ouvrir mon art à d’autres horizons et me libérant ainsi des parcours obligés de la musique contemporaine et des circuits musicaux alternatifs parfois un peu sclérosés et fermés.

Aria Primitiva est né assez tard, en 2017, à la suite des concerts anniversaire «Art Zoyd - 44 ½». À cette occasion, j’avais rencontré Nadia Ratsimandresy et Cécile Thévenot qui faisaient également partie de cette formation célébrant cet anniversaire. L’expérience de groupe me manquait et Nadia et Cécile vinrent me proposer de travailler ensemble; j’hésitai un instant et puis banco! Le problème majeur entre nous était la distance nous séparant: Nadia à Paris, Cécile à Strasbourg et moi en Autriche à Salzbourg… Nous avions peine à trouver des dates pour nous réunir tant qu’aucun concert ne fut planifié. Au niveau composition, j’avançais à pas de géant et, en quelques mois, un répertoire de base était prêt et, fort de cela, je me mis à rechercher des dates. Quatre concerts furent planifiés et garantis financièrement. Nous pouvions nous jeter à l’eau et entamer nos répétitions. C’est ainsi qu’est né et aura vécu Aria Primitiva car, après un album («Sleep No More» et ces quelques concerts, Nadia a repris ses activités avec Art Zoyd dont elle était toujours membre et une distance s’est installée durablement, puis Cécile rêvait de plus d’improvisations, ce qui n’était pas le centre d’intérêt principal d’Aria Primitiva qui finalement était devenu mon bébé. J’avais, j’ai beaucoup d’estime pour ces musiciennes mais un avenir me semblait impossible, je décidai d’en terminer avec cette formation puis la crise du covid nous est tombée dessus… Je suis passé à autre chose.

Je dois ajouter que, tant que cet ensemble a existé, j’ai adoré le processus de travail et la perspective d’un nouveau groupe de scène, un peu dans la direction d’Art Zoyd des années 86-87 qu’inconsciemment j’aurais aimé ressusciter… Il y avait tant à faire et tant d’autres musiciens à inviter. Pc – Des concerts ont-ils été prévus pour fêter les 50 ans de carrière?

TZ – À cette heure, aucun concert n’est prévu et proche de mes 70 ans. Je n’envisage plus la musique sous le prisme des tournées en bus, rangement de matos à trois heures du mat. Les occasions d’excès en tous genre et endosser toujours la responsabilité pour d’autres musiciens qui ne se bougent que parce que vous seul leur demandez de bouger… Certes, je suis un peu aigri sur ce thème après avoir vécu de désagréables situations.

Disons que je ne suis plus intéressé par cette façon de vivre la musique… J’ai d’autres projets autour de mes sons et vous me donnerez peut-être l’occasion de vous en parler plus tard.

Pc – Merci Thierry pour cette interview. Un dernier mot pour encourager nos lecteurs à (re)découvrir tes univers?

TZ – Merci à vous! Mais pour cette dernière question je citerai Denis Desassis que j’ai invité à préfacer ce coffret et il vous parlera de cette anthologie mieux que personne, et assurément mieux que moi! Et encore merci à lui pour ses mots.

«Voici donc 50 ans de musique(s) illuminés par le foisonnement d’une anthologie suscitant l’admiration, tant la cohérence d’ensemble, depuis les premières heures d’Art Zoyd jusqu’aux dernières chorégraphies païennes, relève ici de l’évidence. Musique, cinéma, danse, théâtre sont assemblés en un grand tout affranchi du temps et des barrières stylistiques pour s’abandonner à un imaginaire peuplé de tourments et d’espoirs, ceux d’un voyage en direction du grand mystère. L’œuvre de Thierry Zaboitzeff est parée des couleurs ténébreuses d’une épopée de l’initiation dévoilant au fil des jours des paysages énigmatiques parfois désolés, dont la contemplation suscitera une curiosité mêlée de fascination.»

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Citizen Jazz (F)


Thierry Zaboitzeff - 50 ans de musique(s)
Thierry Zaboitzeff (cello, elb, voc, kb, samp, prog) + musiciens ayant accompagné son parcours depuis 50 ans (avec Art Zoyd, Aria Primitiva…).

par Denis Desassis 24/11/2022

Jazz, pas jazz, la question est-elle vraiment là ? À l’écoute de ces quelque 3 heures et 40 minutes de musique minutieusement organisées en un coffret de trois CD, on se dit que l’essentiel est ailleurs. Là, dans cet espace assez indéfinissable mêlant des influences multiples (rock, musique classique, minimaliste ou électronique), où s’exprime un musicien insoumis depuis un demi-siècle. Une époque déjà lointaine mais toujours bien présente, commencée quand Thierry Zaboitzeff avait été l’une des chevilles ouvrières de l’aventure Art Zoyd aux côtés de son partenaire Gérard Hourbette. Un long chemin de plus de 25 ans suivi d’une autre expérience toujours en cours (dont nous nous étions déjà fait l’écho il y a quelques années à l’occasion de la parution du disque Aria Primitiva), plus solitaire souvent mais toujours hantée par la même pulsation venue des tréfonds (du cœur, de l’âme, du mystère de la nature et des humains). Pour dire les choses en quelques mots qui puissent cerner ce musicien pas comme les autres, on pourra évoquer « un autodidacte, multi-instrumentiste, un explorateur doublé d’un inventeur, celui d’un idiome de la traversée des « espaces inquiets » où, des profondeurs, peut surgir à tout moment une voix chantant dans une langue oubliée, enfant naturel de son cheminement créatif. On pourra aussi parler d’une musique de chambre contemporaine électro-acoustique, d’un rock technoïde où s’épanouissent basse, violoncelle, claviers, percussions, samples et autres cordes synthétiques » [1]. Il faut de surcroît rappeler que Thierry Zaboitzeff a mis son art au service de la musique bien sûr, mais aussi du théâtre et de la danse (souvenons-nous du Mariage du ciel et de l’enfer et de Roland Petit en 1985, ou de la mise en musique de films anciens : Faust, Nosferatu, Hâxan). Voilà donc un demi-siècle que l’histoire a commencé. Il était temps de la raconter, sans nostalgie aucune mais avec le souci d’en éclairer le cheminement.

C’est chose faite avec 50 ans de musique(s), une véritable somme, un tout longuement réfléchi dont la cohérence au fil des années atteste de la créativité de celui qui, jamais, n’a baissé les bras. Totalement impliqué dans ce qui s’apparente fort à une anthologie, Thierry Zaboitzeff n’a pas hésité, lorsqu’il le jugeait nécessaire, à réenregistrer certaines compositions, à revoir le mixage et le mastering de quelques autres. Bonne idée par ailleurs : il n’est pas tombé dans la facilité d’une sélection chronologique qui aurait pu présenter l’inconvénient de pointer du doigt de façon trop explicite une évolution au fil des décennies. Ici, la cohérence est dans l’agencement d’un long scénario animant couleurs et timbres, variant les rythmes et les atmosphères, dans la construction d’un paysage entre ombre et lumière. Mais avec une passion indéfectible pour « une musique cérébrale sans doute, mais puissamment charnelle ».

Vous entendrez peut-être, tout au long de 50 ans de musique(s), les échos plus ou moins lointains de Bartók, Stravinski, Ligeti, voire Bach en même temps que les influences, plus électriques celles-là, de quelques formations hâtivement rangées dans la case du rock progressif. Mais en réalité, vous plongerez, en totale immersion, dans le monde singulier de Thierry Zaboitzeff. Cherchez bien, il n’y en pas d’autres comme le sien. C’est une vraie aventure, une fresque humaine tout autant que musicale.
Denis Desassis.

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Kosmicmu.blogspot.com (F)


Les 50 ans de musique(s) de Thierry Zaboitzeff
par Jean Christophe Alluin 21/11/2022


Avec un tel panorama, on aurait pu craindre un coffret un peu passéiste avec moults archives à la clef, au son d'époque forcément analogique et d'époque. Mais nous ne sommes pas ici sur ce registre rétrospectif mais, plutôt, sur celui d'une carte de visite réactualisée et pleinement actuelle, y compris au niveau sonore, avec un travail visuel de Thierry Moreau parfaitement en phase avec cette modernité électrique affirmée.

De Thierry Zaboitzeff on connait évidemment son passé dans Art Zoyd dont certaines belles traces figurent ici, parfois dans une forme réactualisée, y compris par le magnifique Aria Primitiva à la destinée hélas abrégée. Un clin d'oeil à Rocco Fernandez, fondateur de AZ, des extraits savamment choisis que les afficionados sauront reconnaitre et quelques "covers" assez décoiffantes...

L'homme a quitté cette matrice en 1997 et c'est là où, ce coffret, devrait ouvrir des portes à beaucoup. S'affranchissant de toute logique chronologique, Thierry Zaboitzeff a construit ici un labyrinthe audacieux où l'auditeur est emporté en des terres multiples. Du séminal Prométhée, paru en 1984 et dont votre serviteur a bien usé le LP à l'époque, au récent Pagan Dances (uniquement en numérique), ce sont plus de 20 disques produits sous son nom qui se sont succédés, hélas, sans beaucoup d'écho ici, faute de distribution et de promotion.

Ce coffret permettra donc à nombre d'entre vous de découvrir un univers personnel, protéiforme tout en étant extrèmement cohérent. Alors peu importe le catalogage : musiques nouvelles, progressif, post rock, musique contemporaine, rock in opposition, chant liturgique... Thierry Zaboitzeff est partout et, surtout, ailleurs, en musicien libre et affranchi, en compositeur singulier aux univers pluriels. Il y a urgence à le (re)découvrir.

(Label : Monstre Sonore/ WPTL)

Le site de l'artiste c'est ICI

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Hémisphère Son (F)


Les larmes de Prométhée
Cofondateur du collectif Art Zoyd, Thierry Zaboitzeff revient aujourd’hui, en 3 CD, sur 50 années de musique(s). L’occasion de redécouvrir l’une des aventures les plus singulières et transgenres du paysage musical français.

par Franck Marguin - 15/11/ 2022


En 1984, le musicien Thierry Zaboitzeff publie, sur le label Cryonic, un premier album solo nommé Prométhée. La pochette du disque, une peinture signée Raymond Majchrzak, montre deux médecins visiblement inquiets au chevet d’un homme mourant, qui n’en a vraisemblablement plus pour longtemps. L’étrangeté du rapport entre cette image et le nom de Prométhée me hante depuis la découverte de ce disque, quelques années après sa sortie. La déconstruction du mythe pour l’ancrer dans un quotidien aussi banal que sordide laisse imaginer une musique puisant ses racines dans la même dichotomie, liant le sacré à la grisaille du quotidien.
Quand sort ce premier opus solo, Prométhée, Thierry Zaboitzeff, natif de Maubeuge, a déjà une longue carrière derrière lui, au sein du collectif Art Zoyd, actif depuis 1968. Collectif plus que groupe, car une trentaine de musiciens y sont venus jouer au fil du temps, même si le noyau dur était composé de Zaboitzeff, Patricia Dallio et Gérard Hourbette, dont le décès en 2018 marqua la fin des activités après 50 ans de bons et loyaux services. Formé dans un premier temps pour des musiques de scène, théâtre, danse, Art Zoyd sort son premier disque en 1976, le déjà très réussi Symphonie Pour Le Jour Où Brûleront Les Cités, et les quinze ans qui suivent voient fleurir les chefs-d’œuvre : Musique pour l’Odyssée (1979), Génération sans Futur (1980), Phase IV (1982), Les Espaces Inquiets (1983), Le Mariage du Ciel et de l’Enfer (1985), ainsi que, nos deux favoris, Berlin (1987) et Nosferatu (1990).
Lorsque le groupe débute, il est sans équivalent ; cette musique n’a jamais été entendue avant, et ne sera pas plus copiée par la suite. Pourtant, l’influence d’Art Zoyd sera déterminante sur toutes les musiques aventureuses de la fin du XXe siècle. Influente, mais inimitable. Dès les débuts les caractéristiques si fortes du son Art Zoyd sont affirmées. C’est une musique liturgique, qui ne craint pas d’utiliser les symboles, et qui mêle des influences aussi diverses que le rock progressif, le free jazz, le néo-classique, la musique contemporaine et, lointaine cousine, la musique expérimentale. Les œuvres sont souvent instrumentales, et lorsque la voix se fait entendre, elle est gutturale, semble sortir des ténèbres, scandant plus qu’elle ne chante.
Habitué à composer pour la scène, Art Zoyd se prend de passion pour une autre discipline, celle de composer pour le cinéma. Mais leur spécificité va être de composer des musiques pour des films issus de l’âge d’or du muet. Pionniers dans le genre, ils créent de gigantesques et impressionnants ciné-concerts, exercice auquel se prêtent aujourd’hui de nombreux musiciens mais qui, à l’époque, s’apparentait à un véritable événement. Ils inaugurent cette série avec le Nosferatu de Murnau, enchaînent avec le Faust du même cinéaste, et font ensuite découvrir au public le merveilleux Häxan de Benjamin Christensen, à une époque où le film est invisible. Suivent des bandes-son pour le Metropolis de Fritz Lang, La Chute de la Maison Usher de Jean Epstein, L’Homme à la caméra de Dziga Vertov. Ces ciné-concerts sont de véritables expériences scéniques. Art Zoyd ne se contente pas de jouer la musique d’un film en se cachant derrière où à côté de l’écran, mais se met en scène de manière spectaculaire, grandiloquente parfois, créant un spectacle vivant où l’image et le son communiquent en permanence. Les films sont ainsi sortis de leur muséification programmée pour trouver une résonance contemporaine salvatrice.
Le disque qui nous fait parler de Thierry Zaboitzeff ici a le mérite de se nommer on peut plus simplement : 50 ans de musique (s). Outre le chiffre 50 qui est impressionnant (qui peut en effet se targuer d’avoir composé pendant 50 ans et de continuer à le faire avec la même aisance?), c’est le « s » entre parenthèses qui retient l’attention. Véritable touche-à-tout, multi-instrumentiste (même si la basse a toujours été son instrument de prédilection), Zaboitzeff a multiplié les styles, les envies, les projets, ce qui fait que, 50 ans plus tard, sa musique est forcément plurielle. Ce copieux coffret de 3 CDs remplis jusqu’au débord, présente près de 4 heures de musiques réparties sur 43 plages. L’intelligence du tracklist est de ne pas organiser les morceaux par ordre chronologique, ni par formation, pour mieux réorganiser l’ensemble de la manière la plus harmonieuse possible, créant une œuvre nouvelle, gigantesque, protéiforme, semblant en mutation perpétuelle, nous offrant la possibilité de dévorer à nouveau ce foie incandescent et à jamais régénéré.
On y entend donc du Art Zoyd, extraits des Espaces Inquiets, Phase IV, un remix de Marathonnerre I, et des réinterprétations de deux de ses meilleures chansons : Unsex Me Here et Baboon’s Blood, dont les versions originales figuraient sur la version CD de Berlin. Zaboitzeff a énormément composé pour Art Zoyd, Hourbette et lui étant les deux maîtres-d’œuvre du projet, mais il a volontairement choisi ici de sous-représenter cette partie de carrière ô combien prolifique, privilégiant les enregistrements sans doute moins connus du public. Le coffret nous propose aussi deux morceaux excellents d’Aria Primitiva, trio formé avec Cécile Thévenot et Nadia Ratsimandresy et offrant des atmosphères électroniques syncopées, ou ambient, de toute beauté ; ainsi que six titres du projet Zaboitzeff & Crew, le crew en question étant composé de Gerda Rippel et Sandrine Rohrmoser. Le gros morceau étant en toute logique consacré à ses travaux solos. Car, l’air de rien, de façon de plus en plus confidentielle, et depuis l’inaugural Prométhée, Thierry Zaboitzeff a signé de son nom seul près d’une vingtaine d’albums. Nous redécouvrons avec beaucoup d’intérêt des extraits des excellents Dr. Zab & His Robotic Strings Orchestra (1992) ou Heartbeat (1997), d’où est issu le superbe El Amor Brujo (Live), l’un des morceaux les plus enthousiasmants du coffret.
Même si ce triple album est une compilation, il est bon de préciser qu’une grande partie des plages ont été retravaillées pour l’occasion. Entre les remakes, les remixes, les versions remasterisées, celles rejouées au piano, les versions live, les versions courtes, les longues, même l’auditeur le plus attentif de l’œuvre de Thierry Zaboitzeff aura le sentiment, légitime, de redécouvrir un travail sans cesse réinventé. Car c’est de cela qu’il s’agit, finalement. Ces 50 de musique (s) nous baladent depuis les cendres du rock progressif de la fin des années 60 jusqu’à la techno du début du XXIe siècle, des expérimentations les plus folles jusqu’à des moments de recueillement plein de réserve et d’intensité mêlées, et ce voyage, ces voyages, ne sont pas ceux qui se font d’un point A, qui serait le départ de quelque chose, à un point B, son arrivée ; non, la traversée à laquelle nous invite ici Thierry Zaboitzeff nous plonge dans l’œil du cyclone, au sein d’une spirale en mouvement dont le seul chemin envisageable, fiable, à travers ce dédale inextricable de musique (s), est celui qu’aura choisi de se tracer l’auditeur. Seul, mais joliment accompagné.
Franck Marguin

À propos de 50 ans de musique (s),
coffret rétrospective de 3 CDs de Thierry Zaboitzeff – Monstre Sonore / Thierry Zaboitzeff / WTPL-Music
Distribution : PIAS

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Rythmes Croisés (F)


Thierry ZABOITZEFF : Au cœur de cinquante ans de Musique (s)
Articles et Entretiens, Chroniques
par Philippe Perrichon - 28/10/2022


Pour beaucoup, Thierry ZABOITZEFF est, d’abord, le co-fondateur et un compositeur essentiel, aux côtés de Gérard HOURBETTE, du groupe ART ZOYD, certes, et c’est considérable. Mais si c’est probablement le creuset qui lui a permis de déployer ses couleurs propres, sa carrière dépasse largement son rôle de compositeur et de musicien au sein de ce groupe. Thierry ZABOITZEFF a en effet produit plus de trente-cinq enregistrements (vinyles, CD, enregistrements digitaux) en solo, bien plus encore qu’ART ZOYD, groupe auquel il aura cependant imprimé son style pendant plus de vingt-cinq ans. Thierry ZABOITZEFF fête en 2022 ses 50 ans d’un parcours musical protéiforme. À cette occasion est paru un album justement titré 50 Ans de Musique (s), avec lequel nous vous proposons de faire plus ample connaissance, d’autant qu’il prend la forme d’un triptyque.

Ce triple CD qui rend hommage aux cinquante années de musique de Thierry ZABOITZEFF est un bel objet dont nous sommes redevables au talent d’un autre Thierry, ami du premier, Thierry MOREAU, à qui nous devons bien des pochettes et des jaquettes des musiques que nous aimons sans avoir pris le soin de vérifier quel talentueux graphiste en était l’auteur.

Le choix délibéré de Thierry MOREAU d’un contenant riche en couleurs et au graphisme soigné fait écho à la palette variée de Thierry ZABOITZEFF ainsi qu’à son souci de la précision si perceptible dans chacune de ses œuvres. Les affinités entre ces deux artistes ne datent pas d’hier : Thierry MOREAU avait déjà illustré la réédition de l’enregistrement de Symphonie pour le jour où brûleront les cités d’ART ZOYD mais aussi Pagan Dances, Professional Stranger, ARIA PRIMITIVA de Thierry ZABOITZEFF. Il était sûrement encore question d’affinités avec le groupe belge UNIVERS ZÉRO quand Thierry MOREAU réalisa la jaquette du CD Phosphorescent Dreams. Si tant est que vous souhaitiez compenser votre méconnaissance quant au travail de ce graphiste prolifique, n’hésitez pas à cliquer sur le lien ci-dessous :

https://moreauthierry2965.wixsite.com/graphic/pochettes-de-disques

Mais découvrons donc ce que cache ce bel album de Thierry ZABOITZEFF, intitulé 50 Ans de Musique(s).

Le livret joint s’ouvre sur les notes de DENIS DESASSIS : outre l’invitation à s’immerger dans l’univers de Thierry ZABOITZEFF, DENIS DESASSIS semble hésiter entre les multiples facettes de la musique de Thierry ZABOITZEFF. Que raconte-t-elle? Comment évoquer en quelques mots une musique qui va au-delà d’elle-même, hautement congruente avec un travail chorégraphique puissant qui la prolonge et l’intensifie ? Déroutante? Oui. Séduisante ? Tout autant. La musique de Thierry ZABOITZEFF ne s’éloigne jamais d’une veine d’inspiration caractérisée par un choix ciselé des timbres, des couleurs, générant des atmosphères multiples, comme autant d’univers. DENIS DESASSIS conclut son apologique introduction par ces mots -que l’auditeur pourra confirmer quand il aura lui-même effectué le voyage : « C’est un récit qui questionne notre monde, dont on sait le caractère implacable, épousant les contours d’une danse hypnotique zébrée de vibrations telluriques autant que d’éclats de lumière à même d’apaiser les zones d’ombre que ces derniers révèlent. On peut, sans risque de se tromper, penser qu’il existe quelque part, tout près de nous, une Planète ZABOITZEFF. L’émerveillement vous attend ».

Trois fines tranches de plaisir d’un bleu profond s’offrent à nous en trois volets musicaux prometteurs. Elles sont porteuses d’émotions, d’expression dense et de paysages sonores qui sont autant d’univers inouïs qui, tous, conduisent à la perception de ce sentiment d’urgence, de nécessité absolue à faire jaillir cette musique intérieure, exigeante et passionnée de Thierry ZABOITZEFF dans notre espace sonore. De prime abord, on aurait pu s’attendre à une répartition chronologique des titres proposés. Ce n’est cependant pas le choix retenu ici par le compositeur. Car il s’agit bien d’une proposition : la production de Thierry ZABOITZEFF est ici résumée mais de façon non-exhaustive, loin s’en faut.

En effet, l’œuvre du compositeur et multi-instrumentiste (basse, violoncelle, samplers, voix, guitare, percussions, programmation…) – qui se charge généralement aussi de l’enregistrement, du mixage et du mastering – s’étire sans passages à vide sous nos oreilles dispersées depuis les années 1970. Thierry ZABOITZEFF y équilibre avec talent l’expressivité des voix et des différents instruments avec cette précision quasi-horlogère de ses compositions qui, dès ART ZOYD, signait le style propre à ce groupe mythique. Cette préoccupation de précision, cette ascèse épurée, de prime abord austère, est omniprésente dans ce triple album. Cette récapitulation expose des compositions aux climats spécifiques à l’univers varié et complexe de Thierry ZABOITZEFF. Le compositeur, maître d’œuvre et architecte, y agence pièces soutenues et intenses avec des pièces plus apaisées ou à l’orchestration plus sobre, à la façon dont la respiration s’articule entre inspiration et expiration, alternance nécessaire à la randonnée musicale qu’il nous propose dans son univers.

Je crois qu’il ne s’offusquera pas si je dis de Thierry ZABOITZEFF que c’est un hypermnésique remarquable. En effet, profitant de l’accalmie événementielle forcée subie par tous les artistes et le public sous couvert de sécurité sanitaire, Thierry a régulièrement abondé une rubrique de son site relatant son incroyable parcours. Comme beaucoup de ses admirateurs, j’attendais régulièrement les nouvelles publications, année par année, qu’il publiait sur son site. Cette rubrique est une mine d’or pour tous les amateurs de musique et pour tous les musiciens tant elle regorge d’anecdotes qui sont tellement similaires au vécu de nombre de musiciens ayant commencé à tourner dans les années 1970. Pour en avoir un aperçu, c’est ici :
https://www.zaboitzeff.org/zaboitzeff-raconte.html

Ses collaborations sont multiples et on notera, pour faire court, son importante contribution de musicien compositeur jusqu’à ce jour avec la compagnie de danse autrichienne Editta BRAUN COMPANY et la magnifique période de ARIA PRIMITIVA dont témoignent deux superbes enregistrements : Work in Progress et Sleep no more. Sa période Thierry ZABOITZEFF & CREW, de 2002 à 2020, a aussi donné le jour à la magnifique Missa Furiosa dont voici un extrait, le Kyrie, donné en public : https://youtu.be/JOztOerFlac

La prétention du rédacteur ne saurait aller au-delà d’une invitation à explorer par vous-même ce triple album, qui, lui-même peut être comparé à la partie émergée d’un iceberg tant l’œuvre de Thierry ZABOITZEFF est dense et prolifique. Nous nous bornerons à vous en proposer quelques moments saillants ; mais ce choix est évidemment subjectif et peut s’apparenter à une sélection de cartes postales tirées d’un voyage impossible à résumer. Puisse-t-il vous inciter à faire vous-même ce voyage profond en compagnie du maestro.

Voyage, justement, est le titre de la première pièce du premier CD. Cette pièce, composée en 2005, aux couleurs festives, ethniques, nous entraîne en Afrique, en Chine… Les timbres magnifiques où se mêlent en des textures de velours la basse et les staccatos des violoncelles sont bien représentatifs de la manière avec laquelle Thierry ZABOITZEFF assoit ses compositions. Cette prédominance du jeu des cordes frottées se retrouve dans la pièce suivante, Domagali, composée en 2007, où Thierry pose ce petit chorus de violoncelle à base d’harmoniques qui est bien dans sa manière.

Dès le titre Pagan Dances, composé en 2021 – pièce extraite de l’album éponyme -, nous sommes plongés dans les couleurs plus sombres et tendues plus familières aux connaisseurs de la musique de Thierry ZABOITZEFF. Cette ré-immersion trouvera son point culminant avec Cérémonie Parts 1-2-3 composée en 1983 ou encore Prometean Waves de 1984 dont la deuxième partie fournira une partie des ingrédients d’une pièce présente dans le fabuleux Mariage du Ciel et de l’Enfer, œuvre composée pour un ballet commandé par Roland PETIT et dont la musique était jouée en direct par le groupe en même temps que la troupe de danse. La petite pause rafraîchissante par Ballade, écrite en 1982, nous conduit à nouveau dans l’univers « historique » de Valenciennes, pays de mineurs et de métallurgistes (un contexte social comparable présidait à la naissance d’UNIVERS ZÉRO en Belgique) :

Épreuves d’acier – Fragments d’une forge : Épreuves d’acier est à l’origine une composition commandée à Thierry ZABOITZEFF par le photographe Philippe SCHLIENGER et son association « Les Insatisfaits » pour l’exposition « Épreuves d’Acier – Fragments d’une forge ». Ce projet a été piloté en France pour Thierry ZABOITZEFF par l’association Soundtracks. Ce travail a été publié en livre-disque par les éditions françaises Contrejour. La musique a été composée, interprétée et enregistrée par Thierry ZABOITZEFF en 1995.

Mein Augenstern, composé en 2000, égrène ses notes de pianos pluviales sur un tapis de soie de violoncelles qui n’est pas sans évoquer certaines atmosphères bartokiennes tandis que les harmoniques du violoncelle solo s’étirent hors du temps.

La pièce drôlatique intitulée Sangria, composée par Rocco FERNANDEZ, fondateur premier d’ART ZOYD, est sortie à l’origine en 1971 et a été arrangée en 2022 par Thierry ZABOITZEFF.

Après Confusion et Crash, le compositeur nous emmène à travers un paysage lunaire dont il a le secret. Planet LUVOS Act 8 exhale son mystère dans une semi-obscurité qui est une des facettes du compositeur, s’y retrouve ce travail délicat sur les timbres, l’équilibre des nuances et la maîtrise de l’espace qui donne une véritable dimension à la pièce et y invite l’auditeur en douceur.

LoSt ouvre le deuxième chapitre du triple album. La couleur folâtre du côté d’un rock binaire appuyé mais dont les harmonies aériennes dessinent un filigrane propice à de longues notes saturées et pourtant, assez vite, les cordes parlent à nouveau, avec un sens du contrepoint qui pose une marche harmonique ouvrant à nouveau la voie aux couleurs initiales de la pièce.

Amina et ses cordes feutrées, ponctuées de percussions et d’une ligne mélodique et d’harmonies presque conventionnelles dans l’univers du musicien a été composé en 2007 pour le film Winds of Sand – Women of Rock de Nathalie BORGERS.

La dimension onirique est souvent sous-jacente dans l’œuvre de Thierry ZABOITZEFF, et ces rêves mystérieux ou ces cauchemars parfois, donnent à sa musique une dimension cathartique n’éludant aucune des émotions qui peuvent émerger de l’inconscient. La fragilité de l’humain est ici extirpée de ses peurs à s’exprimer tandis que s’affirme avec force, douceur, enthousiasme ou angoisse la puissance créatrice par laquelle la musique libère le musicien et l’auditeur. La musique de Thierry ZABOITZEFF n’est pas de facilité, ni conçue pour distraire la conscience d’elle-même et de la nécessaire introspection du tréfonds de nos âmes. À l’instar de la Gestalt, on pourrait dire de la musique de Thierry ZABOITZEFF qu’elle est une musique du contact, une musique qui conduit l’auditeur à contacter ressentis? émotions et sentiments sans souci d’évitement ni mièvrerie aucune.

Ici la joie côtoie la peur ou la ferveur, la douceur et le silence mais rien n’y est gratuit, tout sert ce propos d’une musique qui est un voyage intérieur. Inclassable – et tant mieux – ce registre musical, auquel les œuvres d’UNIVERS ZERO ou de PRÉSENT sont apparentées, est libéré des modes et des tendances, des clichés et des facilités. C’est probablement ce non-assujettissement aux modes et autres tendances qui permettent à Thierry ZABOITZEFF de faire cohabiter des pièces créées à des périodes éloignées les unes des autres dans un ordonnancement qui correspond davantage à un voyage initiatique qui nous permet de découvrir les facettes variées qui caractérisent son inspiration.

Mais poursuivons avec Thierry ce voyage au centre de sa musique.

The Cabinet of Dr Caligari Akt IV fait suite au travail de Thierry ZABOITZEFF avec ART ZOYD sur Nosferatu (MURNAU), Faust (MURNAU), Häxan (CHRISTENSEN), trois ciné-concerts réalisés entre 1989 et 1996. Thierry ZABOITZEFF, quinze ans plus tard, revisite ces compositions… Cette fois il est seul en scène avec tout un arsenal hi-tech sans pour autant délaisser ses instruments de prédilection : le violoncelle, la basse, les percussions, les guitares et sa voix…

Créé le 9 Septembre 2010 à Berlin, The Cabinet of Dr Caligari Akt IV nous entraîne justement, via ses évanescences oniriques, dans ce monde sombre et obsédant des percussions qui jaillissent soudain pour, tout à coup, laisser place à un ostinato lancinant : oscillant entre rêve et cauchemar, nous sommes invités à cette ronde atonale, dissonante parfois où le compositeur joue avec les plans sonores, les espaces lointains ou proches, conférant ainsi à sa pièce une dimension de liberté parfois enivrante.

Komba est extraite de Heartbeat, Concerto for Dance and Music dont le titre complet est Heartbeat, Des Cornes de brume, un capitaine. Une femme qui dort dans le ventre d’un navire. Deux Rêveurs… a été créé en 1996-1997 à Salzbourg. Précisément la première a eu lieu le 11 avril 1997 au Szene Salzbourg. C’est une œuvre conjointe associant, en live, musique et danse. La musique est de Thierry ZABOITZEFF, et la danse et la chorégraphie de Editta BRAUN. Le concept et la direction artistique ont été assurés par Stéphane VÉRITÉ. Ce spectacle live a fait l’objet d’une tournée : Szene Salzbourg / Festival Tanzsprache WUK Vienne / Bela Bartok Komitat Györ en Hongrie / Festival Maishofner Sommer / Tauriska / Sommer SZENEfestival / Steintheater Hellbrunn / Festival Mautfrei Brotfabrik à Bonn / Festival Österreich tanzt / Festspielhaus St. Pölten / Impulsfestival Bregenz / Théâtre de l’Odéon / Festival Tanzpool à Vienne.

Komba est emblématique des climats développés également par le compositeur au sein de son spectacle solo Dr. Zab & his Robotic Strings Orchestra. La pièce, dont l’écriture a un caractère « ascensionnel », date de 1993 et plutôt qu’un long discours, laissons ici parler la musique : https://youtu.be/CWILR7Fi9YY

Après cette course verticale effrénée, Thierry ZABOITZEFF nous emmène dans un univers délicat et feutré ou un ostinato de piano accueille sa voix qui sait se faire douce, des arpèges de guitare délicats, un chant d’arrière-plan qui n’est pas sans évoquer un chant traditionnel pygmée. C’est Clear Light, pièce composée en 1992. Le compositeur y fait montre d’une grande maîtrise technique et instrumentale, ainsi qu’un sens aigu du mixage et de l’équilibre des timbres et des espaces. La perception spatiale de la pièce n’obère pas son intention d’intimité.

Après Zart, une pièce à plusieurs volets composée en 1995, où le clarinettiste Christian KAPUN est venu apporter sa voix aux instruments tous assurés par Thierry ZABOITZEFF, c’est au tour de Mariée avec la nuit de nous emporter dans la danse.

Cette pièce, composée en 1984 et enregistrée en 1990 est revisitée ici par Thierry ZABOITZEFF : en reprenant l’écriture, il l’envisage dans une version plus courte et plus proche d’une instrumentation qu’on pourrait qualifier de rock-progressive : elle est en effet composée de six guitares électriques (dont celle qui tient la mélodie centrale est assurée par Thierry ZABOITZEFF) et de trois bassistes (évidemment Thierry y joue aussi sa propre partie de basse). Le projet initial, destiné à la scène et baptisé Overdrive, n’aboutira pas hélas, et il n’en subsistera que cette pièce pourtant superbe enregistrée en 2011 et dont la réorchestration n’a pas altéré l’énergie déjà dense de sa première version. Thierry ZABOITZEFF y réalise le tour de force de proposer ici une pièce accessible au public qui méconnaît son travail sans rien concéder à la facilité cependant.

So Etwas Wie Blau, enregistrée en 2021 pour l’album Professional Stranger est encore une de ces respirations apaisées mais vigilantes dont le compositeur a le secret. Un balancement entre deux accords de piano sur une basse de velours sert de trame aux frémissements d’un violoncelle que rejoignent bientôt le chant du compositeur puis les perles dissonantes et cristallines de la main droite du piano… Où rêve et réalité s’entremêlent ?

L’intention du présent article étant de vous inviter à ce voyage, il serait fastidieux d’en établir ici la carte. Force est de reconnaître qu’il peut sembler injuste et réducteur de limiter nos commentaires à certaines pièces de cet opus tant il est vrai qu’aucune n’est mineure. Nous nous bornerons donc cependant, comme annoncé, à mentionner désormais quelques-unes de ses étapes en gardant à l’esprit que l’audition de ce triple album réserve des joyaux non évoqués ici, afin d’en préserver toute fraîche la saveur.

Avec Rage & Domination nous visitons l’album India enregistré en 1998. Superbe pièce énergique mêlant avec maîtrise instruments et enregistrements (de bruitages, de voix) dans une technique de composition qu’on pourrait comparer à une forme de collage mais sans jamais être déconnectée du caractère vivant et présent de l’œuvre. C’est un savoir-faire qui est souvent de mise chez le compositeur et il le maîtrise sans jamais s’y perdre, sans jamais nous y perdre. Thierry ZABOITZEFF y joue du violoncelle, de la guitare, des samplers, assure la programmation, l’enregistrement, le mixage et le mastering comme tout au long de ce triple album pratiquement.

Baboon’s Blood dans sa version de 2022 est un nouvel arrangement de cette pièce enregistrée en 1987 sur l’album Berlin. Daniel DENIS, le percussionniste fondateur d’UNIVERS ZERO se fait ici le comparse de Thierry ZABOITZEFF : Daniel DENIS est un compositeur essentiel d’UNIVERS ZERO dont il assure aussi la tenue des percussions. Leurs prestations communes sont en partie visibles et audibles dans les extraits de concerts filmés dans le cadre du RIO, le festival de Rock In Opposition. La pièce est poussée à sa tension maximale, Thierry ZABOITZEFF y ajoutant quelques effets sonores et une dimension imprécatoire absente de la version initiale. Ici le compositeur fait une nouvelle référence à Macbeth. La pièce se ponctue sur un ricanement à la fois sinistre et… jubilatoire !

Ce deuxième volet de notre voyage initiatique s’achève sur Die Maschine pièce composée pour l’album Multiple Distorsions en 2013, qui, malgré son caractère mécanique, est vibrante de lumière. Nous sommes prêts pour le dernier étage de la fusée, allons-y, on te suit Thierry !

ARIA PRIMITIVA

Et nous entrons de plain-pied dans l’univers de ARIA PRIMITIVA avec cette pièce Sleep no more. D’aucuns l’auront compris : la musique de Thierry ZABOITZEFF n’est jamais là pour nous bercer même si elle n’exclut pas la douceur, et quand elle nous semble de prime abord violente, elle nous invite à partager la joyeuse ferveur ou, à tout le moins, la vibrante énergie vitale qui l’anime. C’est un contrat à passer entre nous et le compositeur. L’affaire étant entendue, nous pouvons cheminer avec lui dans son univers et découvrir la sensibilité derrière ce qu’on aurait pris à tort pour de la froideur.

ARIA PRIMITIVA est une formation très aboutie dans la démarche musicale de Thierry ZABOITZEFF. C’est un trio composé de Nadia RATSIMANDRESY (ondes Martenot – instrument merveilleux si brillamment mis en valeur par MESSIAEN, notamment dans ses Petites Liturgies de la présence divine – claviers et samplers), Cécile THÉVENOT (claviers et samplers) et le compositeur et interprète lui-même.

Sleep no more, pièce de l’album éponyme, est, clairement, cette invitation fervente à ne pas relâcher sa vigilance et à poursuivre la démarche créative dans laquelle s’inscrit le compositeur. Sa première mouture datait de 1990 pour l’album Nosferatu, composée dans le contexte d’ART ZOYD pour illustrer la version du film du même nom de MURNAU. La version qui figure sur le présent album date de 2019.

Après la respiration d’un Phantasiespiel qui peut être entendu comme un intermède néo-classique dont l’intention contrapuntique est annoncée par le thème initial de piano qui se déploie en canon nous entrons dans la phase ascensionnelle de cette anthologie. Aria Primitiva, qui donne son nom à cette formation, est un titre composé en 2019 qui nous conduit dans un nouvel univers, spécifique à ce trio. La pièce est une vraie réussite : s’y marient timbres et instrumentations puis voix posées sur des rythmiques répétitives et cycliques au caractère obsédant. Cependant, malgré cette référence à une veine d’inspiration déjà éprouvée par les expériences passées du compositeur, la maîtrise instrumentale et électronique d’Aria Primitiva inscrit cette pièce résolument dans son temps.

Nous avons évoqué plus haut la Missa Furiosa, œuvre ambitieuse articulée en différents mouvements inspirés directement de la liturgie chrétienne et ayant servi de base à bien d’autres messes célèbres du répertoire classique, de Jean-Sébastien BACH à Ludwig Van BEETHOVEN. Entreprise audacieuse et véritable monument musical, articulé selon la structure classique de la messe, la Missa Furiosa de Thierry ZABOITZEFF s’ouvre logiquement sur un Introitus enregistré en 2002 dans le contexte de la formation ZABOITZEFF AND CREW. La section vocale est composée de Christine AUGUSTIN, mezzo-soprano, Jean BERMES, baryton, Rupert BOPP et Thierry ZABOITZEFF. Chose rare chez le compositeur, la formation s’est adjoint un batteur, Peter ANGERER. Les deux dernières pièces de ce troisième volet sont aussi extraites de la Missa Furiosa : ce sont le superbe Requiem et l’intense Libera Me, dont nous reparlerons plus loin.

Une illustration sonore s’impose, la voici : https://www.youtube.com/watch?v=crY4Vlx1ZNg

Deil Zom an de Lay, enregistrée en 2012 pour l’album 16, pose sa basse ronde et veloutée sur les notes de main gauche du piano. Cette profondeur vibre dans le sternum. L’arpège égrène une dentelle qui accueille la voix de Thierry. Une mélodie douce vient compléter cette pause paisible. Sa guitare lance dans l’espace sa plainte étirée à la manière d’un Matte Kudasai cher à KING CRIMSON. La pièce est encore un vrai joyau alchimique.

Nous sentons bien que le capitaine ZABOITZEFF a conçu son vaisseau interstellaire et sa démarche initiatique avec une logique et une sensibilité tournées vers son auditoire. Avec Konzo Bélé, nous sommes aux confins du système solaire, observant avec émerveillement la voie lactée, renouant avec nos âmes d’enfants. Comme en écho lointain nous parviennent de la planète bleue les chants pygmées qui nous ont accueillis au début du voyage. L’instrumentation, aérienne, cristalline évoque ce point du voyage où l’on ne peut être que différent, épuré, prêts pour le grand saut. Composée en 1992 pour l’album Marathonnerre 1 et 2 d’ART ZOYD, la pièce a été remixée en 2022 pour le présent triple album.

Le grand saut a lieu, êtes-vous prêts ? Voici Komba dans sa version piano, piano joué par Thierry – il est peut-être superflu de le rappeler car tout instrument qui lui est présenté semble un défi à relever pour cet homme-là ! Komba est probablement un acte de foi du compositeur : cette pièce dont nous avons déjà entendu la version orchestrale, Thierry ZABOITZEFF l’a d’abord écrite pour basse et ordinateur, puis l’a transposée pour piano seul dans le cadre de sa collaboration avec la Editta BRAUN COMPANY pour le projet Close up. C’est ici la version qu’il interprète lui-même qu’il nous offre, pour piano et ordinateur, enregistrée en 2021. Pièce dense, avec son staccato obsessionnel, Komba court d’une tonalité à l’autre dans une course soutenue qui a tout d’une ascension que rien ne semble pouvoir arrêter. Résolument tonale et tonique, la pièce ne manque pas, dans cette version, d’affinités avec les premier et troisième mouvements de la Sonate pour piano Opus 26 de Béla BARTOK (tout en restant cependant dans un cadre résolument plus consonant) ou encore certaines pièces pour piano solo d’un certain Nik BÄRTSCH, dont nous avons déjà évoqué la démarche dans ces colonnes : https://www.rythmes-croises.org/nik-bartsch-ronin/

Après Komba, nous voilà prêts pour une sorte de final en deux temps qui, ensemble, peuvent résumer le sentiment qui émerge parfois de la musique de ce compositeur : entre le Requiem (adapté librement du Requiem de MOZART) de sa Missa Furiosa et son Libera me, qui clôture cette œuvre, nous passons de l’extrême gravité, du recueillement le plus délicat, teinté de mélancolie au déploiement d’une énergie vitale urgente, essentielle, animée d’une aspiration à une forme de libération mystique exprimée dans une sorte de marche verticale. Avec sa Missa Furiosa, Thierry ZABOITZEFF a bâti un monument musical dont témoigne ce triple album et dont l’apothéose est emblématique de sa démarche de créateur.

Entretien avec Thierry ZABOITZEFF

Merci Thierry d’avoir accepté le principe de cette interview car, si j’ai bien compris, votre timing est assez serré…

Thierry ZABOITZEFF : Oui et je vous prie de m’en excuser. En effet sitôt ce projet de coffret terminé et livré, je suis à nouveau en studio pour la composition et l’enregistrement d’une BO sur un film de 19’ LUVOS Migrations un projet piloté par Editta BRAUN COMPANY. « Vision d’avenir ou images d’un univers parallèle ? Dans des décors naturels à couper le souffle, des paysages industriels automatisés et des ruines désertes, se déploie un voyage à travers le temps et les espaces de vie. Les étranges créatures LUVOS du théâtre d’illusion corporelle d’Editta BRAUN s’emparent de la musique de Thierry ZABOITZEFF. »

C’’est un nouveau défi pour moi et je remercie Editta BRAUN pour sa confiance chaque fois renouvelée.

Un Teaser de cette bande originale est accessible ici : https://vimeo.com/751118062

Cette récapitulation a un effet saisissant : elle fait réaliser à quel point votre travail s’est étalé dans le temps et suscite l’envie de se replonger dans votre discographie et votre production considérable. Comment est né ce projet de triple-album ?

TZ : Bon ! vous n’êtes pas sans ignorer que j’aurai bientôt 70 ans et lorsqu’on a la chance d’arriver à cet âge sans trop de problèmes, on ne peut s’empêcher de se retourner, non sans une petite pointe de fierté et de faire une sorte de point, de bilan et je me suis dit qu’il serait intéressant de regrouper dans un coffret au format relativement serré afin d’éviter toute redite ou redondance, une anthologie, je préfère ce mot à celui de compilation que je trouve fade et vilain…

Dans tous les cas, il n’était absolument pas question de ressortir mes 30 albums dans un coffret au risque d’une catastrophe économique et d’une indigestion carabinée.

J’ai donc commencé à travailler sommairement sur 3 à 4 playlists, histoire de me rendre compte de la tâche sur un niveau artistique. Ensuite convaincu de la faisabilité, je décidai de faire le tour de mes contacts afin de savoir qui pourrait co-produire un tel album. Par politesse, comme il se doit dans le métier, je contactai en premier lieu le label et l’éditeur qui me soutient depuis 2005 (WTPL-Music et Monstre Sonore) qui fût immédiatement partant aux conditions que je fixais. C’était en décembre 2021 et avions d’ores et déjà prévu une sortie pour juin 2022 mais que finalement nous repoussions à septembre 2022.

Ce fût un travail compliqué et difficile dont je suis satisfait à l’arrivée et je crois que le secret a été d’oublier toute chronologie et il a fallu ensuite masteriser et unifier tous ces enregistrements d’époques différentes.

Plusieurs aspects de cet ensemble sont très impressionnants : tout d’abord vos talents de poly-instrumentiste, puis votre maîtrise des technologies actuelles. Comment s’est effectuée cette expansion de vos compétences ?

TZ : Il y a fort longtemps, j’étais uniquement bassiste mais aussi un peu guitariste, cela convenait parfaitement au cadre rock-prog rock des années 1970, mais très vite Gérard HOURBETTE et moi-même au sein de ART ZOYD, décidions de casser les codes, ce que Rocco FERNANDEZ avait déjà commencé…

Cela se traduisit par des ajouts progressifs de pédales d’effets en tous genres, chambres d’écho pour allonger les sons, leur donner des espaces plus larges, dès notre deuxième album, je me mettais non sans mal au violoncelle pour renforcer ce côté musique de chambre électrifiée… Ainsi de fil en aiguille, nous nous sommes intéressés également aux techniques de studio qui étaient en ces temps-là inaccessibles financièrement. Malgré le travail magnifique accompli pour chaque album en studio, nous avions toujours d’immenses regrets : pas assez de temps pour les prises, le mixage, etc.

Mais voilà qu’au milieu des années 1980 l’informatique musicale débarque et, dès lors, nous nous équiperons de manière à devenir complètement autonomes concernant nos enregistrements. Sans entrer trop dans le détail, ce fût pour moi, pour nous, une révolution : le MIDI/les claviers/puis très vite les Samplers Hardware abordables/les systèmes d’enregistrement digital multipistes. Il a fallu apprendre sur le tas et maîtriser ces nouvelles lutheries, de cette époque jusqu’à aujourd’hui en prenant bien garde de ne pas se laisser manger par le côté uniquement technique. Pour ma part, j’ai toujours veillé à un juste équilibre entre machines et instruments acoustiques mais parfois, cela arrive, la machine dégage quelque chose que vous ne pouvez reproduire avec un instrument acoustique et qui s’inscrit bien dans le contexte de la composition.

J’ai un seul petit regret, mais c’est sans doute le prix à payer de l’exercice d’une anthologie : j’avais beaucoup aimé votre travail autour du Livre Vermeil de Montserrat et c’est peut-être un des volets de votre travail d’arrangeur et de compositeur moins connu. Avez-vous aussi ce regret ?

TZ : Comme vous le dites, c’est le prix à payer. J’ai bien évidemment tenté d’inclure une des pièces de ce projet Le Livre Vermeil de Montserrat mais, au final, je me suis aperçu que je n’avais pas un matériau d’assez bonne facture pour cela. Entre temps j’ai téléphoné à Sandrine ROHRMOSER et nous nous sommes mis d’accord pour enregistrer professionnellement ce projet l’an prochain.

Pouvez-vous nous parler de votre travail de collaboration avec Thierry MOREAU qui nous fait aussi l’honneur de rédiger dans nos colonnes ?

TZ : Je connaissais Thierry MOREAU depuis de nombreuses années (époque ART ZOYD) puis par hasard, je l’ai croisé dans un train entre Douai et Paris en 2004 je crois : nous avons échangé fort sympathiquement, je lui ai par la suite envoyé quelques albums et le temps a passé.

Peu à peu et fort discrètement, il s’est approché, me faisant part de son travail graphique, notamment pour des pochettes d’albums. Il m’a très vite ensuite proposé de travailler sur mes pochettes, ce que j’ai refusé car je n’avais que très rarement les budgets pour cela. Cependant son approche et son travail m’avaient tout de suite séduit si bien qu’en 2017, lorsqu’il fût question d’un album pour ARIA PRIMITIVA, je fis des pieds et des mains pour que son travail de conception graphique soit, de suite, intégré au budget de la prod. Le travail s’est fait dans un grand respect mutuel et ce jusqu’à ce coffret sur lequel il a fait un travail fantastique complètement en dehors de ce que lui ou moi aurions pu imaginer.

Êtes-vous animé par une forme de spiritualité (quand bien même elle serait toute personnelle – en bon autodidacte qui se respecte ! – à mon modeste niveau je suis également autodidacte et je sais que c’est parfois difficile mais que c’est un choix qui rend plus libre) ? Cette question me vient à travers votre recours au latin, qui est un choix culturellement marqué, typiquement européen, et, également, ancré (et encré) dans un contexte chrétien qui a marqué notre continent (et au-delà).

TZ : Cher Philippe, je suis animé par des pensées diaboliques !!! (rires) Non je rigole ! La référence au latin est liée à mon histoire personnelle avec mon grand-père maternel : il était organiste et lorsque j’étais enfant je l’accompagnais à la tribune pour la grand-messe. La puissance des tuyaux d’orgue m’ont marqué… ainsi que le garde suisse qui réglait le déroulement de l’office. Tout ce contexte bien plus tard m’a inspiré pour la Missa Furiosa, cela faisait un moment déjà que je voulais m’attaquer à ces riffs un peu technoïdes en les associant au latin… Le pitch était tout trouvé !

Pouvez-vous nous parler de votre étrange violoncelle ? Cet instrument m’a toujours intrigué…

TZ :Vous parlez de mon Silent Cello de Yamaha customisé ? Durant un certain nombre d’années, j’ai travaillé comme compositeur et musicien « live », très souvent en plein air, été comme hiver… Mon violoncelle acoustique en a tellement souffert, il ne tenait plus l’accord dans les conditions météo extrêmes et a fini par se briser… J’ai donc trouvé ce stick quasiment insensible aux intempéries grâce à ses mécaniques de basse, mais je l’ai rééquipé de micros piezzo d’excellente qualité, car le système Yamaha de base n’était pas très convaincant. Ce système me permit ensuite de jouer par tous les temps et sans problème de feedback en me donnant la possibilité d’alterner entre un son classique ou électro à l’aide de pédales d’effets que connaissent fort bien les guitaristes.

Quel a été votre parcours initial ? Je vous imagine bien en autodidacte intégral…

TZ : Je suis l’autodidacte intégral ! Tout un temps, dans mes débuts, j’avais un problème avec cette idée, j’ai toujours été entouré de musiciens très professionnels et formés. Beaucoup d’entre eux avec qui j’ai travaillé ont été très respectueux de cela et très à l’écoute de mes idées.

Puis le temps passant, je me suis affranchi : les expériences, mes apprentissages non conventionnels sur les différents instruments que j’utilise puis, ensuite, également, ma formation en autodidacte sur l’informatique, les techniques d’enregistrement, constituent un tout et un patrimoine dont je suis très fier car ainsi, j’ai pu suivre mes chemins de traverses avec toute la fantaisie que je souhaitais !

Quels sont vos projets pour les mois et les années à venir ?

TZ : Comme je le disais précédemment, l’enregistrement de mon adaptation du Livre Vermeil de Montserrat avec Sandrine ROHRMOSER, en vue d’un album… Ensuite un peu de repos !!!!!

Puis un peu plus tard quelques surprises, je l’espère.

Merci de cet entretien et encore bravo pour ce bel album !

TZ : Merci à vous, pour toute votre attention.

Article et Entretien réalisés par Philippe Perrichon – Photos : Bettina Frenzel (scènes) – Zablab2022 (portraits)

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Eurock (USA)


Thierry Zaboitzeff - 50 YEARS OF MUSIQUE (3)
par Archie Patterson, octobre 2022

In 1976 Art Zoyd 3 had been reconfigured since its creation in 1969 and released their first LP titled, 'Symphonie of the Day the Cities Burn'. Also in 1976 The band performed LIVE at the 'Théâtre de la Renaissance' in Paris on November 1976.
In 2022 Thierry just released an extraordinary 3-CD career spanning retrospective box set compilation of tracks from his soundtracks, music for dance and solo albums. In the annals of European experimental bands Thierry's musique is literally not comparable to any other European experimental or progressive music bands I've ever heard.
Today Thierry still writes and performs music for dance, theater, multimedia events, movie soundtracks, as well as music for his own projects and performances.
You can hear a sample 'Pagan Dance', Buy the box set (there are only 3 copies left), a Digital version of the complete set as well as all 31 of Thierry's digital albums (at 40% Off) at Bandcamp.
If you are a fan of French experimental music his new historical retrospective is essential! He's been consistently innovative and his music still embodies the spirit of the 1970's and 80's…
Go to Bandcamp @ https://thierryzaboitzeff.bandcamp.com/.../thierry...

Best magazine #3 (F)


THIERRY ZABOITZEFF, cinquante nuances de génie.
L’inclassable THIERRY ZABOITZEFF est de retour cet automne avec l’anthologie 50 ans de musique, rétrospective épique d’une carrière hors du commun.

par Kevin Letalleur - septembre 2022


Le grand public tend à l’oublier, mais au cœur des années 70, la France fut un haut lieu de la musique progressive. Moins rayonnante que la légendaire scène britannique – portée par la richissime école de Canterbury – le courant prog français se démarquait alors par un avant-gardisme poussé dans ses retranchements les plus barrés. Avant-gardiste, le rock progressif l’était pourtant déjà bien assez : les expérimentations sonores, hybridations et autres bizarreries étant l’essence même de ce mouvement. Ange, Triangle ou encore Gong regardèrent ainsi droit dans les yeux King Crimson, Jethro Tull et autres Genesis – groupe qui par ailleurs rencontrera à ses débuts un succès plus important en France et en Belgique que dans son Angleterre natale. Néanmoins, une formation se chargera d’envoyer plus que toutes les autres le prog français dans le cosmos. Ce groupe, c’est bien évidemment Magma.
La mythique formation fondée par Christian Vander – que d’aucuns considèrent comme le plus grand batteur de tous les temps – a embrassé les principes du genre avant tant de véhémence et d’intensité que même l’étiquette « progressive » leur apparaissait trop étroite. Ils inventèrent ainsi un genre, le zeuhl, considéré comme « multidirectionnel et spirituel » plus encore que musical, mais aussi carrément un dialecte : le kobaïen. Un certain nombre de groupes vont alors explorer les chambres magmatiques creusées par la bande à Vander et, pour certains, forer jusque dans les calderas les plus reculées de cette musique d’un genre nouveau. C’est parmi ces foudingues du son que l’on retrouve les Nordistes d’Art zoyd.

Fondé en 1969 par Gérard Hourbette, Rocco Fernandez, et évidemment Thierry zaboitzeff, Art zoyd n’était au départ qu’une formation hard rock comme il en existait à l’époque tant d’autres. C’est sous l’impulsion du dernier nommé que le groupe va progressivement faire évoluer sa musique et abandonner l’instrumentarium traditionnel du rock, délaissant guitares et batteries au profit du piano et des violoncelles. C’est dans cette démarche néo-classique qu’Art zoyd sort en 1976 Symphonie pour le jour où brûleront les cités, premier album d’une discographie labyrinthique et en constante évolution. Ils deviendront dès lors les chantres de l’un des mouvements les plus radicaux du prog, le rock in opposition qui, comme son nom l’indique, s’oppose inconditionnellement au format radiophonique et plus généralement, aux diktats de l’industrie musicale.

Durant les années 80, Art zoyd s’éloignera progressivement de ses racines néo-prog pour diriger sa musique vers un style plus synthétique, considérant l’arrivée du fameux Yamaha DX7 et des samples comme l’opportunité de repousser plus loin encore les frontières du son. En parallèle, zaboitzeff se lance à l’époque en solitaire avec la sortie en 84 de Prométhée, là encore le début d’un catalogue parmi les plus prolifiques de l’Hexagone – et qui le verra parfois sortir plusieurs disques par an. C’est précisément ce pan de la carrière du maubeugeois que l’anthologie 50 ans de musique revisite, à travers trois CD d’une quinzaine de tracks chacun. « Seulement », serait-on tenté de dire.

L’histoire de Thierry zaboitzeff, c’est celle de cinquante ans de pure création musicale, malheureusement méconnue du commun des mortels, auquel le monsieur n’appartient probablement pas. Là se situe la malédiction des authentiques visionnaires et des pionniers véritables : être condamné aux oubliettes de la mémoire collective des générations futures et aux quolibets de leurs contemporains car, comme le veut la célèbre formule de Jonathan Swift : « Quand un vrai génie apparaît en ce monde, on peut le reconnaître à ce signe que les imbéciles sont tous ligués contre lui ».

Kevin Letalleur
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Technikart n°262 (F)


Thierry Zaboitzeff - 50 ans de musique(s)
L'OBJET DU CULTE - THIERRY ZABOITZEFF
THIERRY ZABOITZEFF, L'AGITATEUR
" ABATTRE LES CLOISONS ! "

Entretien Laurence Rémila 09/2022 


Il est l'un des piliers d'Art Zoyd, groupe mythique du free-rock à la française. Pour fêter son demi-siècle d'agitation musicale,
Thierry Zaboitzeff publie une majestueuse compilation 3-CDs. Interview carrière.


Vous revenez sur votre parcours avec ce coffret 50 ans de musique(s). Comment êtes-vous devenu l'un des membres des légendaires Art Zoyd ?
Thierry Zaboitzeff : La création d'Art Zoyd, c'est 1969. Moi, j'arrive dans le groupe avec mon ex-collègue Gérard Hourbette (violon), maintenant disparu, en 1971. C'était sur l'invitation du fondateur Rocco Fernandez (guitare et chant). Puis il y a eu une refondation du groupe, avec une recherche de style, de langage, et on a sorti l'album Symphonie pour le jour où brûleront les cités (AZ Production) en 1976.

Votre découverte du rock ?
Alors, ça remonte à loin ! J'écoutais des choses un peu bateau, puis tout d'un coup, comme nous habitions pas loin de la frontière belge, je découvre à la télévision flamande un concert de Frank Zappa. Et je me dis que c'est ça que je veux faire. On voyait des musiciens couchés sur un lit, des sketchs, une séance de pets, de rots… Rires.)

Comment était l'industrie musicale à vos débuts ?
C'était la liberté. Il n'y avait pas de plans de carrière, beaucoup moins de marketing... Et nous, on était une sacré bande d'allumés, parfois très inconscients.

Et comment étaient vos premiers concerts avec Art Zoyd ?
Quand on faisait les premières parties de Magma, ça nous mettait en contact avec un public qu'on ne connaissait pas. Ils venaient pour Magma et nous, on était une espèce d'anti-Magma car on était un groupe sans batterie alors que chez Magma, la star, c'est le batteur (Christian Vander), mais ça se passait très bien.

Vous, c'était : trompette, violon et basse.
Qui, c'était une formation squelettique, mais tout était électrifié. Avec ma basse, j'occupais toute la place d'un batteur. J'assurais toutes les rythmiques, je me servais des archets du violon. Il y'avait un jeu rythmique inspiré de Stravinsky, de Bartok, des compositeurs de l'Est...

Avec une volonté de ne pas être trop planant malgré l'absence de batterie ?
Oui, on sortait du mouvement un peu babacool. On était une nouvelle génération, on avait envie d'autre chose.

Vous êtes resté avec Art Zoyd une trentaine d'années.
26 ans ! On a toujours eu une volonté d'originalité, et on à continué dans la voie des débuts jusqu'à l'album Phase IV (1982), c'était le point d'orgue de cette façon de travailler. Nous avons été contactés ensuite par le chorégraphe Roland Petit qui nous a proposé d'écrire la musique de son prochain ballet, comme il l'avait fait avec la musique de Pink Floyd en 1972, C'est là qu'on a commencé à avoir des claviers dans le groupe, puis des sampleurs, on a ensuite monté des ciné-concerts avec Nosferatu et Faust qu'on a joués partout dans le monde.

Vous quittez le groupe en 1997.
C'était la fin d'un cycle : on avait des désaccords, mon collègue partait sur de la musique contemporaine avec plus de machines, et moi, je voulais le contraire. Depuis, je mène ma barque comme je veux.

Tu sors ces jours-ci une compilation de tes cinquante ans d'activisme musical. Pourquoi avoir évité le tracklisting chronologique ?
Ça a été douloureux ! J'ai commencé en voulant faire émerger des petits concepts sur chacun des trois disques. Mais ça s'emboitait mal, ça se cassait la gueule. Alors j'ai commencé par un truc des années 2020, suivi d'un morceau de 1976 et ainsi de suite, Le principal était que ça colle musicalement... Donc ça saute du coq à l'âne, mais c'était le souhait.

Et que pensez-vous de l'industrie musicale en 2022 ?
J'aimerais qu'on abatte les cloisons, qu'on mélange les gens qui font de la techno, du rock, du jazz... Là, on entend des trucs auto-tunés d'un côté, la musique classique et contemporaine d'un autre ; les gens du jazz qui ne veulent pas en sortir. Donc : un peu plus de mixité musicale !

50 ans de musique(s): compilation 3-CD sur
le label Monstre Sonore/WTPL Music

Entretien Laurence Rémila
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